De l’"Auftragstaktik" à l’Intelligence Collective Appliquée : vers une gouvernance distribuée et un cadre d’action ouvert
Introduction : Un concept militaire au service de l’engagement citoyen
L’
Auftragstaktik, ou "tactique de mission", est une approche développée dans l’armée prussienne puis allemande, basée sur la
décentralisation du commandement et l’initiative des subordonnés. Ce principe repose sur une
autonomie stratégique accordée aux exécutants, qui reçoivent un objectif clair mais ont la liberté d’adapter leurs actions aux circonstances.
Si ce concept a été pensé dans un cadre militaire, il
résonne aujourd’hui avec les besoins des organisations civiles, des associations et des mouvements citoyens, qui cherchent à conjuguer
efficacité collective, autonomie des acteurs et capacité d’adaptation. Loin d’une simple transposition de modèle, il s’agit ici d’en extraire l’essence –
une approche agile et responsabilisante – pour l’appliquer à des
dynamiques collaboratives, démocratiques et solidaires.
1. Pacifier le concept : vers une terminologie adaptée
L’
Auftragstaktik, dans son expression initiale, porte une connotation militaire qui peut être rédhibitoire dans les milieux associatifs et citoyens, attachés à des valeurs de
co-construction, de dialogue et d’horizontalité. Pourtant, ses principes fondamentaux sont directement applicables à la gouvernance participative et aux modèles d’organisation ouverts.
Plutôt que de parler de
tactique de mission, nous pouvons reformuler cette approche en utilisant des concepts mieux ancrés dans les dynamiques civiles :
Gouvernance distribuée : Met en avant un mode de gestion où chaque acteur peut
prendre des décisions locales alignées sur une vision globale, sans attendre une validation centrale.
Intelligence collective appliquée : Souligne la capacité d’un groupe à mobiliser
les compétences et les initiatives individuelles pour répondre à des défis communs.
Cadre d’action ouvert : Insiste sur un
cadre structurant qui laisse
une grande liberté dans l’exécution, en s’adaptant aux réalités du terrain.
Modèle d’engagement responsabilisant : Met en avant
la confiance dans les membres d’un collectif, qui sont encouragés à
prendre des initiatives et à s’approprier les outils disponibles.
Ces alternatives permettent d’inscrire ce modèle dans une dynamique
inclusive et démocratique, où la responsabilisation des acteurs devient un levier d’action et d’innovation.
2. Applications dans la société civile
L’adaptation du modèle d’
Auftragstaktik aux contextes associatifs et citoyens peut prendre plusieurs formes selon les secteurs et les besoins. Voici quelques domaines clés où ce principe trouve une application pertinente.
2.1. Mouvements citoyens et engagement associatif
Les organisations militantes et associatives doivent souvent conjuguer
autonomie locale et cohérence stratégique. Un modèle de
gouvernance distribuée permet de donner un cap clair tout en laissant
les collectifs locaux s’adapter aux enjeux spécifiques de leur territoire.
Exemple : Extinction Rebellion
Ce mouvement écologiste fonctionne sur des principes de
gouvernance distribuée : chaque groupe local peut organiser ses actions
en autonomie, tout en respectant une charte commune. Ce mode d’organisation permet
une grande réactivité et évite l’écueil d’une centralisation rigide.
Exemple : Réseaux d’économie solidaire
Les coopératives et associations locales suivent un
cadre de valeurs commun, mais chaque entité adapte son mode de fonctionnement aux besoins de ses membres.
Principes-clés appliqués : Autonomie stratégique, confiance dans l’initiative, auto-organisation.
2.2. Gestion de projet et innovation sociale
Les approches classiques du management reposent souvent sur un
contrôle strict et des directives précises, ce qui peut freiner l’innovation et l’engagement des équipes. Un
cadre d’action ouvert permet au contraire de donner un objectif clair (ex : "développer une solution pour l’inclusion numérique") tout en laissant aux acteurs le soin de trouver
leurs propres moyens d’action.
Exemple : Gestion de projets en Open Source
Les projets open source fonctionnent sur des contributions libres, où chaque développeur peut
apporter sa pierre à l’édifice en respectant des standards communs (ex: Linux, Wikipedia).
Exemple : Incubateurs d’innovation sociale
Plutôt que d’imposer un modèle rigide, ces structures donnent aux entrepreneurs sociaux des
outils, un cadre méthodologique et un réseau, tout en leur laissant
l’autonomie nécessaire pour développer leurs solutions.
Principes-clés appliqués : Leadership distribué, autonomie stratégique, responsabilisation des acteurs.
2.3. Éducation et transmission des savoirs
Les pédagogies classiques basées sur l’
instruction descendante montrent leurs limites face aux nouveaux enjeux éducatifs. L’application du modèle d’
intelligence collective appliquée permet aux apprenants
d’expérimenter, de tester et d’apprendre de manière plus autonome tout en étant guidés par un cadre structurant.
Exemple : Pédagogies alternatives (Montessori, Freinet)
Ces approches donnent à l’enfant un
objectif éducatif clair, mais lui laissent
la liberté d’explorer et de construire son propre savoir.
Exemple : Communautés d’apprentissage collaboratif
Des plateformes comme OpenClassrooms ou Khan Academy offrent
un cadre pédagogique, mais chaque apprenant
progresse à son rythme et choisit son parcours.
Principes-clés appliqués : Cadre d’action ouvert, autonomie dans l’apprentissage, expérimentation active.
2.4. Gouvernance territoriale et démocratie participative
Les collectivités locales et initiatives citoyennes cherchent à impliquer davantage les citoyens dans la prise de décision. Un modèle de
gouvernance distribuée permet de fixer
des orientations politiques globales, tout en laissant les acteurs locaux
adapter les solutions aux réalités de terrain.
Exemple : Budget participatif
Les municipalités fixent des priorités budgétaires, mais les habitants peuvent proposer et voter des projets concrets adaptés à leurs besoins.
Exemple : Communes en transition
Les villes engagées dans la transition écologique établissent des
grandes lignes stratégiques, mais laissent des
groupes citoyens développer des actions adaptées à chaque quartier.
Principes-clés appliqués : Autonomie locale, flexibilité dans l’exécution, gouvernance coopérative.
Conclusion : Une approche adaptée aux défis du XXIe siècle
Loin d’un simple concept militaire, l’
Auftragstaktik repensée sous l’angle civil devient un
modèle puissant pour structurer des organisations dynamiques et agiles. En favorisant une
responsabilisation des acteurs, une autonomie stratégique et un cadre structurant mais flexible, cette approche permet de répondre aux défis contemporains avec
réactivité, engagement et efficacité.
L’avenir des organisations citoyennes repose sur leur
capacité à conjuguer une vision collective forte avec une autonomie locale, un équilibre essentiel pour
transformer la société de manière participative et inclusive.

NAWAK

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