- Une explication claire du concept d’Auftragstaktik, ses origines et ses principes.
- Des exemples d’application hors du domaine militaire, notamment dans la gestion, l’éducation, ou l’innovation sociale.
- Une exploration des liens potentiels avec la démocratie participative, les assemblées citoyennes et les initiatives locales.
- Des pistes concrètes d’adaptation à des projets citoyens autogérés ou horizontaux.
- Une attention particulière aux expériences pertinentes en Belgique ou en Europe, lorsque possible.
Je te reviens avec un dossier structuré et approfondi dès qu’il est prêt.
De l’Auftragstaktik militaire à la participation citoyenne consciente
Qu’est-ce que l’Auftragstaktik ? Origines et principes fondamentaux
Origines militaires : L’Auftragstaktik (littéralement « tactique par mission »), souvent traduit par commandement par mission, est un concept de commandement développé dans la Prusse du XIX<sup>e</sup> siècle, attribué notamment au général Helmuth von Moltke. Cette philosophie de conduite des troupes s’est ensuite intégrée dans la doctrine militaire allemande, puis adoptée dans de nombreuses armées modernes (par exemple le Corps des Marines des États-Unis dans les années 1980). Elle s’oppose aux ordres détaillés et centralisés, en préconisant une approche décentralisée fondée sur la souplesse et l’initiative. Selon la maxime de cette doctrine, « un ordre doit contenir tout ce qu’un subordonné ne peut décider, mais rien que cela », privilégiant ainsi un commandement par l’intention plutôt que par les détails. En pratique, le haut commandement fixe une mission claire (objectif à atteindre et intention stratégique) et laisse aux échelons inférieurs la liberté de décider comment accomplir cette mission.
Principes fondamentaux : L’Auftragstaktik repose sur plusieurs principes clés :
- Intention du commandement (ou « intention du chef ») – Le dirigeant doit formuler clairement l’objectif à atteindre, le but global et les effets recherchés, sans imposer la manière d’y arriver. Cette “intention du commandant” sert de boussole commune à tous les niveaux. Chaque subordonné doit comprendre le pourquoi de la mission et comment son action s’insère dans le plan d’ensemble.
- Autonomie locale et initiative – Les exécutants sur le terrain disposent d’une large autonomie de décision et sont encouragés à l’initiative individuelle pour s’adapter aux circonstances changeantes. Ils peuvent et doivent prendre des décisions par eux-mêmes dès lors qu’elles servent l’intention du commandement. Cette souplesse accroît la réactivité et la capacité d’adaptation face à l’imprévu.
- Responsabilité individuelle – En contrepartie de l’autonomie, chaque membre assume la responsabilité des décisions prises localement. Chacun est comptable de sa mission et de l’atteinte des résultats attendus. L’Auftragstaktik instaure ainsi une culture où l’on attend de chaque acteur qu’il « mesure les circonstances, arrête sa résolution et donne ses ordres en quelques instants » sans attendre des instructions supérieures pour chaque détail.
- Confiance mutuelle – Ce modèle requiert une confiance réciproque très forte entre les niveaux hiérarchiques. Le supérieur doit avoir confiance dans la compétence, le jugement et la loyauté de ses subordonnés pour exécuter l’intention correctement, et les subordonnés doivent avoir confiance que leur chef leur laisse la liberté d’agir sans micro-gestion tout en les soutenant en cas de besoin. Cette confiance se construit par l’entraînement, l’expérience partagée et une compréhension commune de la mission.
- Clarté de communication – Pour que l’autonomie porte ses fruits, les objectifs et contraintes doivent être communiqués de façon claire et comprise de tous. Le commandant s’assure que chacun a bien saisi le contexte, les priorités et les limites (règles d’engagement, ressources disponibles), afin que les décisions décentralisées restent cohérentes avec l’ensemble.
- Adaptabilité et flexibilité – Enfin, l’Auftragstaktik valorise la flexibilité : les plans peuvent être ajustés par ceux qui exécutent en fonction du terrain et des retours d’information. L’idée est de réagir plus vite que l’adversaire en exploitant l’initiative locale, ce qui demande d’accepter une part d’improvisation et d’incertitude. Une unité qui suit l’esprit de la mission plutôt qu’un ordre figé peut s’adapter rapidement aux changements.
En somme, l’Auftragstaktik est un contrat implicite entre le chef et ses équipes : le chef fournit l’objectif, les moyens essentiels et le cadre (intentions, règles), et les exécutants s’engagent à faire preuve d’initiative pour atteindre le résultat voulu, « en fonction de la situation du moment et de l’intention du commandement supérieur », plutôt que de simplement cocher des cases d’ordre reçu. Cette doctrine, éprouvée militairement (on crédite par exemple la victoire prussienne de 1870 en partie à ce mode de commandement décentralisé), est considérée comme un multiplicateur d’efficacité dans les situations complexes et incertaines, grâce à la délégation intelligente et à l’engagement de tous les niveaux.
Au-delà du militaire : des applications en management, éducation, innovation…
Bien que née dans le domaine militaire, l’approche du commandement par mission a inspiré d’autres secteurs où la réactivité, l’innovation et l’initiative locale sont précieuses. Voici quelques exemples d’applications hors du contexte militaire :
- Management d’entreprise : De nombreuses entreprises modernes s’inspirent de principes comparables pour gagner en agilité. On parle de leadership par intention ou de management décentralisé. Les dirigeants définissent des objectifs globaux et des paramètres de base, puis font confiance à leurs équipes pour déterminer la meilleure manière de les atteindre. Ce mode de management encourage la responsabilisation et la créativité des employés. Par exemple, la société 3M pratique depuis 1948 une politique donnant aux employés une part de temps pour des projets personnels, en dehors des directives strictes – une autonomie qui a conduit à des innovations majeures comme l’invention du Post-it®. De même, des entreprises technologiques adoptent des structures en petits groupes autonomes (par exemple le modèle des “squads” chez Spotify) pour permettre à chaque équipe de trouver des solutions innovantes alignées sur la vision d’ensemble. Les principes de l’Auftragstaktik – commandement décentralisé, initiative individuelle, flexibilité, communication claire et confiance – se retrouvent ainsi transposés dans la culture d’entreprise pour créer des équipes plus réactives et résilientes. Un management « par mission » donne aux collaborateurs le sentiment d’appartenance à un but commun tout en libérant leur capacité d’initiative, facteur de motivation et de performance.
- Éducation et pédagogie : Dans le domaine de l’éducation, on observe une évolution vers des approches pédagogiques actives qui rappellent l’esprit de l’Auftragstaktik. L’enseignant définit les objectifs d’apprentissage et le cadre (compétences à acquérir, problématique à résoudre) mais les élèves sont placés en position d’acteurs de leur propre apprentissage, avec une marge de manœuvre pour explorer et construire les connaissances. L’idée est de cultiver l’autonomie, la responsabilité et l’initiative des élèves plutôt que de leur dicter toutes les étapes. Par exemple, dans la pédagogie par projet ou la méthode Montessori, l’enseignant fixe une intention (un projet à réaliser, une question à investiguer) et accompagne l’élève qui choisit lui-même comment y répondre, en expérimentant et en apprenant de ses erreurs. On apprend ainsi aux jeunes à prendre des décisions éclairées, à s’auto-organiser et à coopérer, des compétences cruciales pour le monde contemporain. Cette responsabilisation des apprenants – qui deviennent des “partenaires actifs” de leur éducation plutôt que de simples exécutants – s’inspire du même principe que le mission command : donner un cap et des outils, puis faire confiance aux individus pour progresser à leur manière vers l’objectif. Les bénéfices constatés sont une plus grande motivation intrinsèque, le développement de la pensée critique et une meilleure capacité de résolution de problèmes, analogues aux gains d’initiative et d’adaptabilité recherchés dans l’Auftragstaktik.
- Innovation ouverte et créativité : L’approche missionnaire se prête particulièrement bien aux environnements où l’innovation est clé. En recherche et développement ou dans les écosystèmes d’innovation ouverte, il est fréquent de poser un défi ou un objectif ambitieux, puis de laisser des équipes autonomes chercher librement les solutions. Par exemple, lors de hackathons ou de concours d’innovation, une organisation (publique ou privée) définit un problème à résoudre – p.ex. « trouver des usages innovants pour telle technologie » ou « réduire l’empreinte carbone de telle activité » – et met des ressources à disposition des participants, sans imposer de méthodologie. Ce cadre stimulant permet à des groupes variés de faire preuve de créativité et d’initiative pour atteindre l’objectif dans le temps imparti, souvent avec des résultats inattendus et efficaces. On retrouve là un parallèle avec l’Auftragstaktik : l’intention (le problème à résoudre) est claire et partagée, mais la tactique (la solution) émerge de l’intelligence collective des acteurs de terrain. Des programmes comme les concours X Prize ou les appels à projets citoyens fonctionnent sur ce principe : un but précis est fixé (par exemple envoyer un engin privé dans l’espace, dépolluer un océan…), et une multitude d’équipes concurrentes ou collaboratives inventent des chemins multiples vers ce but, en jouissant d’une grande liberté d’action. Cette diversité d’approches, rendue possible par l’autonomie, est source d’une innovation foisonnante qu’un plan centralisé et unique n’aurait sans doute pas permise.
- Mouvements sociaux et organisations collectives : Les mouvements citoyens horizontaux et réseaux militants adoptent souvent de facto une forme de commandement par mission. Plutôt que de reposer sur une chaîne hiérarchique stricte, ces mouvements définissent des revendications communes et des principes et laissent les groupes locaux ou les individus entreprendre des actions diverses alignées sur ces objectifs. Un exemple parlant est le mouvement Extinction Rebellion (XR), actif internationalement (y compris en Belgique) pour la justice climatique. XR se définit comme un mouvement décentralisé, autonome et apartisan : « quiconque adhère à nos 10 principes & valeurs et à nos trois revendications peut agir en notre nom », annonce leur manifeste. En pratique, le groupe central fixe l’intention globale – exiger des gouvernements des mesures radicales face à l’urgence écologique – et un cadre éthique (non-violence, valeurs de régénération, etc.), mais chaque collectif local est autonome pour choisir les modalités d’action qui lui semblent appropriées dans son contexte. Ainsi, des actions de désobéissance civile sont organisées dans des dizaines de villes simultanément, « suivant un mode décentralisé et horizontal : chaque groupe local est autonome et choisit lui-même ses actions ». Cette structure en essaim, où la “mission” est partagée (faire pression pour le climat) et la mise en œuvre distribuée, rejoint l’idée qu’une « multitude d’acteurs autonomes, guidés par un objectif commun, peuvent agir plus rapidement et efficacement qu’une organisation centralisée ». On l’a observé dans d’autres mouvements récents : les Indignés ou Occupy (2011) ont opéré sans leader unique, chaque assemblée locale décidant de ses activités dans le cadre d’une cause commune (démocratie réelle, lutte contre les inégalités), ce qui a permis une propagation rapide et une adaptation locale des formes de protestation. De même, les réseaux en ligne d’entraide ou les projets collaboratifs (comme Wikipédia ou les communautés de logiciels libres) reposent sur quelques principes partagés et un but (diffuser le savoir libre, développer un logiciel), tandis que les volontaires du monde entier s’auto-organisent pour produire des résultats concrets. Ces exemples illustrent qu’en l’absence de hiérarchie formelle, un groupe peut tout de même converger vers un résultat grâce à une vision commune et à l’autonomie de chacun, c’est-à-dire précisément ce que l’Auftragstaktik propose dans un cadre militaire.
Ponts conceptuels avec la démocratie participative, l’intelligence collective et l’autogestion
Le commandement par mission présente de fortes analogies avec les modèles émergents de démocratie participative et d’organisation horizontale. Au cœur de ces démarches se trouve en effet la même idée directrice : décentraliser le pouvoir de décision vers les acteurs de base, tout en maintenant une cohésion d’ensemble par une vision ou des objectifs communs.
Dans une démocratie participative ou une organisation en gouvernance partagée, l’autorité traditionnelle s’efface partiellement au profit des contributions des citoyens ou des membres. Cela rappelle le principe de subsidiarité, en politique comme en management : éviter que le niveau supérieur n’empiète inutilement sur le niveau inférieur, et ne faire intervenir le haut de la hiérarchie qu’en soutien lorsque l’échelon local atteint ses limites. Appliqué aux institutions démocratiques, ce principe implique de confier aux citoyens eux-mêmes une part du jugement et de la décision, chaque fois que c’est possible, et de réserver aux instances centrales les arbitrages ou les aides que les citoyens ne pourraient fournir directement. L’Auftragstaktik n’est finalement qu’une mise en œuvre poussée de la subsidiarité dans l’armée : « encourager la responsabilité individuelle » et « permettre à chaque membre de déployer tout ce qu’il peut au service de la collectivité », grâce à une répartition judicieuse des rôles entre niveaux hiérarchiques. En démocratie participative, on poursuit un objectif similaire : reconnaître la capacité des citoyens à délibérer, concevoir des solutions et prendre des décisions sur les enjeux qui les concernent, plutôt que de tout laisser aux élus ou technocrates. C’est une forme de confiance accordée au collectif citoyen, qui rejoint la confiance du commandant envers ses subordonnés dans l’Auftragstaktik.
Un autre pont conceptuel réside dans l’importance de l’intention commune et de la compréhension partagée. Dans un collectif horizontal, il est crucial que chacun comprenne la finalité du projet ou de la démarche – on pourrait parler de “mandat” donné au groupe. De même que le commandant explicite son intention pour guider l’initiative de ses unités, une assemblée citoyenne ou une organisation autogérée doit définir sa raison d’être et ses objectifs généraux, afin que les contributions de chacun s’orientent dans la même direction. C’est ce que certains théoriciens appellent le “schwerpunkt” (point focal partagé) et l’“orientation commune” d’un groupe. Par exemple, un collectif militant peut avoir un manifeste ou une charte de valeurs ; une entreprise libérée aura une vision bien communiquée ; une municipalité participative énoncera des priorités stratégiques. Ces énoncés jouent le rôle de l’intention du commandement, donnant du sens et cadrant l’action autonome des participants.
Par ailleurs, l’intelligence collective peut être vue comme l’équivalent civil de l’initiative mission-type : on part du principe que le groupe, laissé relativement libre et bien outillé, saura produire de meilleures idées ou décisions que ne le ferait une autorité centrale seule. L’Auftragstaktik mise sur l’intelligence “de terrain” des officiers subalternes pour s’ajuster aux réalités mouvantes ; la démocratie participative mise sur l’intelligence distribuée des citoyens pour formuler des politiques plus légitimes et créatives. Dans les deux cas, on a recours à la diversité des points de vue et à la connaissance locale : un maire ne connaîtra jamais aussi finement chaque quartier que ses habitants eux-mêmes – d’où l’intérêt de leur “donner mission” de proposer des améliorations. Un état-major ne peut prévoir chaque micro-événement du front – d’où l’intérêt de déléguer aux unités sur place le soin d’agir au mieux instantanément.
Enfin, l’organisation horizontale et l’Auftragstaktik partagent une vision non-bureaucratique de la coordination. Au lieu de procédures rigides et de contrôles tatillons, on préfère des règles du jeu souples et l’émulation. Les mouvements d’autogestion en fournissent une illustration : par choix idéologique, ils suppriment la hiérarchie formelle et inventent des mécanismes pour décider en commun (assemblées générales, consensus, etc.) tout en délégant parfois certaines tâches à des groupes ou personnes de confiance. On obtient alors un alliage de verticalité et d’horizontalité, selon l’expression de certains auteurs : le pouvoir peut être délégué pour l’efficacité, mais il reste contrôlé collectivement. Par exemple, une coopérative autogérée pourra élire une petite équipe de coordination (une forme de commandement délégué), tout en lui donnant un mandat clair et limité, et en prévoyant de la révoquer si nécessaire – ce qui la distingue d’une hiérarchie classique irréversible. Cette souplesse organisationnelle rejoint l’idée que « tout le monde n’a pas besoin de décider de tout, mais chacun doit pouvoir influencer ce qui le concerne ». C’est en quelque sorte une Auftragstaktik démocratique : on attribue à certains le rôle de piloter un aspect (comme un “chef de mission”), mais sous le regard et avec le concours de la base.
En résumé, l’Auftragstaktik offre un référentiel conceptuel intéressant pour penser les nouvelles formes de gouvernance participative : un équilibre entre une intention commune forte (vision, mission, mandat) et une exécution distribuée faisant appel à la responsabilité et la créativité de chacun. Elle préfigure des organisations plus organiques, où la circulation de l’information et la confiance remplacent une partie des contrôles formels. Pas étonnant dès lors que certains y voient un modèle transposable « à toute organisation compétitive, y compris dans le civil » – dès lors qu’on sait l’adapter aux spécificités du contexte citoyen.
Études de cas : quand les citoyens prennent la mission en main
Plusieurs expériences concrètes de démocratie participative et d’engagement citoyen illustrent l’application (explicite ou implicite) des principes de l’Auftragstaktik dans la sphère civile. En voici quelques-unes, en Belgique, en Europe et au-delà, qui montrent comment une “mission” confiée à des citoyens libres et motivés peut porter ses fruits.
- La Convention Citoyenne pour le Climat (France, 2019-2020) : Cette expérience démocratique inédite en France est un exemple clair d’objectif fixé par le haut et mis en œuvre par la base. En 2019, le président Emmanuel Macron, en réponse au mouvement des Gilets Jaunes, a convoqué une assemblée de 150 citoyens tirés au sort, en lui donnant pour mandat : « définir une série de mesures pour réduire d’au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, dans un esprit de justice sociale ». Voici une formulation explicite d’une intention de commandement politique – un but ambitieux et des contraintes éthiques – confiée à des citoyens non-spécialistes. Durant 8 mois, ces citoyens ont travaillé en toute autonomie de jugement (aidés toutefois par des experts et des garants méthodologiques) pour produire des recommandations. Le résultat : 149 propositions très concrètes (lois, mesures réglementaires, référendaires) adoptées quasiment à l’unanimité des participants, couvrant tous les secteurs (transport, énergie, agriculture…). Le gouvernement s’était engagé à ne filtrer aucune proposition et à les transmettre soit au Parlement, soit au peuple par référendum. Même si, a posteriori, toutes les mesures n’ont pas été retenues in fine, le processus a montré la capacité de citoyens ordinaires, correctement mandatés et informés, à assumer la responsabilité d’une mission d’intérêt général complexe et à faire preuve d’une grande créativité dans les solutions (certaines idées dépassant en audace ce qu’auraient proposé des technocrates). La clé du succès a résidé dans la liberté de délibération laissée aux participants – « les auteurs de cette convention, ce sont eux », disait le co-président Thierry Pech, soulignant que les organisateurs n’ont fait que fournir informations et méthodologie, sans dicter de contenu. En somme, l’État a agi comme un “commandant” fixant un cap, puis a joué un rôle de soutien (experts, logistique, plateforme numérique pour les échanges intersessions) pendant que les citoyens, tels des “officiers subalternes”, planifiaient et exécutaient la mission de formuler des politiques climatiques. Cette expérience a également mis en lumière les conditions de réussite de ce type d’« Auftragstaktik citoyenne » : un mandat clair, des ressources (temps, informations pluralistes) mises à disposition, une neutralité garantie (garants indépendants pour éviter toute reprise en main politique), et un engagement de la part du pouvoir d’écouter sans remettre en cause le travail accompli – bref, une confiance institutionnelle dans les citoyens.
- Le modèle Ostbelgien de dialogue citoyen permanent (Belgique, depuis 2019) : En Communauté germanophone de Belgique (Ostbelgien), une des plus petites entités fédérées du pays, un système unique en son genre a été instauré par décret en 2019 : un Conseil citoyen permanent, tiré au sort, qui a pour mission d’instituer des assemblées de citoyens sur les sujets de leur choix et de suivre les suites données à leurs recommandations. Ici, le Parlement régional a volontairement délégué une partie de son pouvoir d’agenda et de contrôle à des citoyens. Concrètement, le Conseil citoyen (24 membres renouvelés tournant) décide souverainement des thèmes qui feront l’objet d’une assemblée citoyenne (il peut s’inspirer de suggestions venues du public ou des élus, mais la décision finale lui appartient). Il fixe également les modalités d’organisation de chaque assemblée (taille, durée des travaux…) et supervise leur déroulement. Ensuite, quand une assemblée rend ses recommandations, le Conseil citoyen veille à ce que le Parlement et le gouvernement y répondent – il y a obligation pour les politiques de débattre des propositions en commission parlementaire conjointe avec les citoyens et de justifier publiquement toute éventuelle non-prise en compte. Ce dispositif peut être vu comme une transposition démocratique directe de l’Auftragstaktik : le Parlement (niveau supérieur) fixe le cadre général – il a créé l’organe et garantit que ses productions seront examinées – mais ce sont les citoyens eux-mêmes (niveau “subordonné”) qui déterminent les sujets à traiter et formulent les solutions. Le Conseil citoyen d’Ostbelgien agit en quelque sorte comme un “officier d’état-major citoyen” : il reçoit une mission permanente (améliorer la fabrique des politiques par l’implication directe des citoyens), et jouit de la confiance du Parlement pour piloter cette mission de façon autonome. En retour, il délègue aux assemblées temporaires (25 à 50 citoyens tirés au sort par assemblée) le soin de travailler en profondeur sur chaque thème et d’en décider les recommandations. L’exemple d’Ostbelgien montre qu’avec les garde-fous adéquats (ici un secrétariat permanent d’appui, et l’attachement formel du processus à l’institution parlementaire), on peut instituer une participation citoyenne “par mission” au long cours : les citoyens ne sont plus consultés seulement quand le pouvoir leur pose une question, ils ont un mandat ouvert pour soulever eux-mêmes les questions à traiter. On voit ici une grande marque de confiance dans l’intelligence collective citoyenne : la représentation élue accepte de se faire co-ordonner ses travaux par des personnes tirées au sort. Cette innovation belge, encore jeune, est suivie de près à l’international comme un laboratoire démocratique. Elle prouve qu’il est possible de responsabiliser des citoyens volontaires en leur donnant de vraies prérogatives, tout en obtenant un fonctionnement constructif (les premières assemblées ont abouti à des recommandations concrètes sur la mobilité, la santé mentale, etc., qui ont été en partie reprises par les autorités). En ce sens, Ostbelgien accomplit dans la sphère civique ce que l’Auftragstaktik réalise dans l’armée : libérer l’initiative de la base dans un cadre sécurisé pour produire des décisions plus efficaces et mieux acceptées.
- Budgets participatifs et initiatives locales encadrées : Un autre type de dispositif illustrant l’esprit du commandement par intention est le budget participatif, pratiqué dans de nombreuses villes européennes. Par exemple, la Ville de Paris consacre chaque année une portion de son budget d’investissement (autour de 5-10%) à des projets proposés et choisis par les citoyens. La mairie définit donc une intention générale – utiliser cette enveloppe pour améliorer la vie locale selon les idées des habitants – et fixe quelques critères et contraintes (périmètre d’action, montant maximum par projet, etc.). Ensuite, elle laisse les citoyens formuler librement des projets, les élaborer et les voter. Ce sont in fine les habitants eux-mêmes qui décident quels projets seront financés et réalisés par la municipalité. Ici, on voit clairement l’analogie : l’autorité publique agit comme un commandant fixant un but (ex. embellir les quartiers, renforcer le lien social) et fournissant les ressources (le budget, l’appui technique des services municipaux), tandis que les citoyens, à travers leurs propositions et votes, jouent le rôle des subordonnés autonomes qui conçoivent comment atteindre ce but dans leur rue ou leur quartier. Ce modèle nécessite, tout comme l’Auftragstaktik, une bonne circulation de l’information (les citoyens doivent connaître le cadre, et l’administration doit bien expliquer les coûts, faisabilités, etc.), ainsi qu’une confiance mutuelle : les élus s’engagent à respecter le choix citoyen (ce qui est généralement le cas, les projets élus sont presque toujours mis en œuvre), et les citoyens font confiance que le processus n’est pas qu’un simulacre. Le succès international des budgets participatifs (nés à Porto Alegre au Brésil dans les années 1980 et essaimés depuis) montre que lorsqu’on donne aux citoyens une “mission” concrète et les moyens de l’accomplir, ils s’en emparent sérieusement pour améliorer le bien commun. Nombre de projets issus de ces budgets (parcs, équipements, fresques, innovations écologiques locales…) n’auraient sans doute pas vu le jour via le circuit classique, ou n’auraient pas correspondu aussi finement aux besoins du terrain – ce qui souligne encore l’intérêt de la délégation locale.
En multipliant les exemples, on constate que l’adaptation de l’Auftragstaktik à la citoyenneté active prend des formes variées, depuis les mouvements spontanés jusqu’aux procédures institutionnalisées. Le point commun est la dynamique “top-down et bottom-up” : une orientation générale émise par une instance centrale (que ce soit un gouvernement, un parlement, une mairie, ou même un simple comité d’organisation dans un mouvement), combinée à une remontée d’initiatives et de décisions depuis la base participante. Cette boucle d’allers-retours renforce tant l’efficacité que la légitimité des actions entreprises : efficacité, parce que les solutions sont conçues par ceux qui sont au plus près du problème et avec une liberté d’innover ; légitimité, parce que les citoyens se sentent coproducteurs des décisions, et donc plus enclins à les accepter et les porter.
Conditions de réussite : confiance, engagement, formation, outils…
Transposer l’Auftragstaktik à un contexte de participation volontaire et libre ne va cependant pas sans conditions. Dans l’armée, les soldats sont tenus par la discipline et l’obéissance au devoir, ce qui n’est pas le cas de citoyens engagés sur base volontaire. Il est donc essentiel de créer un environnement propice pour que la “magie” de l’autonomie organisée opère. Voici les principaux ingrédients identifiés pour faire fonctionner une Auftragstaktik citoyenne :
- Confiance et sécurité psychologique : La confiance est le socle. Les autorités ou initiateurs du projet doivent réellement croire en la capacité des citoyens à contribuer utilement, et le montrer en leur déléguant un véritable pouvoir de décision (pas une consultation factice). Réciproquement, les participants doivent avoir confiance que le cadre est honnête, qu’on ne les manipulera pas et que leur travail servira concrètement. Sans cette confiance mutuelle, l’initiative risque de tourner court – soit que l’autorité reprenne le contrôle à la première divergence (micromanagement contre-productif), soit que les citoyens se démobilisent en suspectant que « de toute façon, leur contribution ne sera pas prise en compte ». Dans l’expérience de la Convention Climat, par exemple, le fait que le Président s’engage publiquement à soumettre les propositions “sans filtre” a été déterminant pour instaurer la confiance initiale. De même, Extinction Rebellion souligne que l’autonomie implique la responsabilité : sans comité directeur pour tout valider, chaque groupe assume les conséquences de ses actes, ce qui crée une responsabilisation qui va de pair avec la confiance donnée. La sécurité psychologique – c’est-à-dire le droit à l’erreur, à l’expérimentation sans crainte de blâme excessif – est également cruciale : innover ou décider de façon autonome comporte toujours un risque d’échec, qu’il faut dédramatiser et considérer comme une opportunité d’apprentissage plutôt que comme une faute. Cette tolérance à l’erreur est très présente dans l’entraînement militaire (on y simule l’incertitude pour apprendre aux officiers à “faire avec”) et devrait l’être tout autant dans les démarches participatives citoyennes.
- Clarté du mandat et vision partagée : Pour que la liberté d’action ne se traduise pas par une dispersion chaotique, il faut un cadre clair, compris de tous. Cela signifie définir explicitement la mission confiée aux participants : quels sont les objectifs à atteindre, les valeurs à respecter, éventuellement les contraintes de temps, de ressources ou de champ d’action. Un mandat trop flou (du style « faites ce que vous voulez pour améliorer la ville ») peut désorienter et décourager, tandis qu’un mandat bien défini (« proposez des aménagements pour encourager le vélo en ville d’ici 2025 ») donne une cible motivante tout en laissant de la place à l’imagination. Il faut également établir les règles du jeu : par exemple, comment seront prises les décisions finales (vote, consensus ?), quel engagement de suivi est pris par les autorités, etc., afin que les citoyens sachent sur quoi ils s’embarquent. La communication initiale est donc primordiale – tout comme dans l’armée un briefing soigné du commandant s’assure que ses subordonnés ont bien saisi son intention. Par ailleurs, il est important de forger une vision partagée ou un narratif commun autour de la mission, afin de souder le collectif. Des éléments comme une charte de valeurs (chez XR, les 10 principes servent de boussole commune), un slogan mobilisateur, ou un exposé des défis à relever contribuent à aligner les motivations. Plus chacun voit en quoi sa contribution individuelle s’inscrit dans « l’intérêt commun » ou la “mission globale”, plus il agira de manière cohérente avec les autres, même sans coordination centralisée.
- Engagement et motivation intrinsèque : Contrairement aux militaires, les citoyens participants sont bénévoles ou volontaires. Leur assiduité et leur sérieux dépendront donc fortement de leur motivation. D’où l’importance de sélectionner des sujets qui font sens pour eux (un enjeu réel, concret, ressenti comme légitime) et de valoriser leur contribution. L’engagement citoyen libre repose souvent sur un sentiment d’accomplissement personnel et collectif : se sentir utile, apprendre des choses, rencontrer d’autres personnes partageant les mêmes idéaux. Les dispositifs participatifs doivent veiller à entretenir ce ressort, par exemple en célébrant les réussites intermédiaires, en donnant de la visibilité au travail accompli, en remerciant publiquement les contributeurs. Par ailleurs, laisser de la liberté permet à chacun de choisir le rôle où il sera le plus motivé : dans un mouvement horizontal, certains préfèreront organiser des actions de terrain, d’autres rédiger des contenus, d’autres assurer la logistique… cette auto-affectation en fonction des appétences renforce la motivation de chacun et l’efficacité d’ensemble. L’analogie militaire est que chaque unité a sa spécialité, mais dans un mode mission on peut redéployer les compétences plus souplement selon les opportunités – de même, en participation citoyenne, il faut savoir laisser les individus apporter ce qu’ils ont de meilleur plutôt que de leur imposer une tâche standard. Au besoin, on peut stimuler l’engagement via des défis positifs (concours amicaux entre équipes, badges de reconnaissance, etc.), mais toujours en respectant l’esprit coopératif.
- Formation, accompagnement et montée en compétences : Un point souvent souligné est le besoin d’apprentissage pour que les participants exercent pleinement leur autonomie. Passer d’un fonctionnement vertical où l’on exécute des consignes à un fonctionnement horizontal où l’on co-décide « implique de fonctionner à contre-courant de toute une série de réflexes appris ». Il faut donc du temps et parfois un accompagnement méthodologique pour que les citoyens (ou les managers, les enseignants, etc., selon le contexte) adoptent de nouvelles postures. Des organisations spécialisées offrent aujourd’hui des formations à l’intelligence collective et à la facilitation, précisément pour aider des groupes à aller vers plus d’horizontalité. Par exemple, Extinction Rebellion a mis en place un Système d’Auto-Organisation (SOS) et propose à chaque nouveau membre de suivre des présentations de ce système pour comprendre comment prendre part aux processus décisionnels en autonomie. De même, les citoyens de la Convention Climat ont bénéficié de l’appui de facilitateurs professionnels lors des ateliers, pour apprendre à délibérer de manière constructive et égalitaire. Ce soutien peut prendre la forme de guides, de kits en ligne, d’ateliers pratiques. L’idée n’est pas de diriger le contenu (ce serait contraire à l’esprit recherché) mais de donner les outils pour que le groupe s’auto-organise efficacement : techniques de débat, méthodes créatives (par exemple forum ouvert, six chapeaux de Bono, etc. évoquées dans la littérature participative), gestion des conflits, prise de décision collective, etc. En un sens, cela équivaut à l’entraînement militaire intensif qui prépare les officiers à agir de façon autonome sur le terrain. Ici, on entraîne les citoyens à penser par eux-mêmes en collectif. Les recherches et retours d’expérience indiquent que cet investissement en formation porte ses fruits : « évoluer dans des espaces plus égalitaires où chacun peut pleinement participer... sont des actes émancipateurs », mais qui demandent effectivement « un énorme effort d’apprentissage » au départ. Si on n’y prend garde, on risque d’exposer des citoyens à un exercice difficile sans les y avoir préparés, ce qui peut conduire à de la frustration ou à la reproduction des biais (par exemple, sans méthodes, les plus extravertis monopolisent la parole). En somme, former et accompagner est indispensable pour libérer l’initiative de tous de manière inclusive et efficace.
- Outils numériques et logistique adaptée : À l’ère digitale, les outils technologiques sont de précieux alliés pour coordonner une participation éclatée sans recentraliser. Des plateformes de participation en ligne (type civic tech) permettent de recueillir des idées, de délibérer à grande échelle, de voter de façon transparente, tout en laissant chacun contribuer à son rythme et selon ses idées. Par exemple, la plateforme open source Decidim est utilisée dans de nombreuses villes pour organiser des consultations et budgets participatifs : elle offre un cadre (sujets, échéances) mais les citoyens y proposent et argumentent leurs projets librement, et peuvent interagir entre eux sans intervention d’une autorité modératrice forte. Dans le cas de la Convention Climat française, un forum numérique dédié (“Jenparle”) a permis aux 150 citoyens de continuer leurs échanges entre les sessions physiques, de manière autonome, afin de garder le momentum et approfondir certaines pistes en intersession. De même, dans les mouvements comme XR ou les communautés en réseau, on s’appuie sur des outils de communication distribuée (groupes Telegram, Discord, listes de diffusion) pour que les informations circulent latéralement entre les participants plutôt que de remonter et redescendre verticalement. Un bon usage des technologies peut ainsi suppléer à une structure hiérarchique : le réseau connecte tout le monde, donc chacun peut ajuster son action en fonction de ce que font les autres, sans passer par un centre de commandement. Toutefois, ces outils requièrent une accessibilité et une formation minimale pour ne laisser personne de côté (il faut veiller à inclure les moins à l’aise avec le numérique, via des solutions mixtes ou un appui humain). Sur le plan logistique plus général, il convient d’adapter l’environnement aux objectifs : par exemple, pour favoriser la participation libre, on choisira des horaires et lieux de réunion adaptés, on prévoira de la garde d’enfants ou des compensations de frais si nécessaire, etc. Enlever les obstacles pratiques est crucial pour que l’auto-organisation ne reste pas théorique. Dans l’armée, la logistique assure que les unités aient le ravitaillement et les moyens de communication pour opérer de manière indépendante ; de même, dans la participation citoyenne, il faut fournir aux groupes les ressources matérielles (espaces, budgets de fonctionnement, documentation) qui leur permettent de travailler correctement sur la mission confiée.
- Culture et leadership adaptés : Enfin, il faut souligner l’importance de la culture dans laquelle s’inscrit l’initiative. L’Auftragstaktik militaire ne fonctionne que parce qu’elle est soutenue par une culture de corps particulière : valorisation de l’initiative et du courage, droit à l’erreur à l’entraînement, esprit de mission partagé, etc.. De même, une culture démocratique horizontale doit être cultivée pour que la participation libre donne son plein potentiel. Cela implique, par exemple, de promouvoir l’écoute active, la compréhension mutuelle plutôt que la confrontation – ce qu’on appelle parfois la “posture coopérative”. Les principes de bienveillance, de respect et de responsabilité individuelle sont à encourager constamment. Souvent, un leadership facilitateur joue un rôle dans cette culture : des personnes, sans imposer leurs vues, peuvent impulser une dynamique positive, rappeler les valeurs communes, désamorcer les tensions. Ce leadership n’est pas vertical mais latéral, on parle parfois de leader serviteur ou de gardien du processus. Par exemple, au sein d’un groupe citoyen, quelqu’un peut être attentif à ce que chacun s’exprime à égalité, ou qu’on respecte le cadre convenu – un rôle proche d’un “chef” missionné pour veiller à la bonne exécution de l’intention commune”. Trouver ce subtil équilibre entre absence de domination et maintien d’une cohérence de groupe est un art plus qu’une science. Chaque organisation ou collectif doit élaborer son propre fonctionnement en fonction de sa raison d’être spécifique et de ce que ses membres sont prêts à accepter de changer. Il n’y a pas de recette universelle, mais des principes directeurs : transparence, inclusion, adaptation continue. Lorsque cette culture est en place, on constate que l’auto-organisation peut mener à des résultats remarquables, et même « rebattre les cartes et faire jouer le débat démocratique différemment », en libérant des énergies neuves.
Conclusion
Transposer l’Auftragstaktik du champ militaire à la participation citoyenne libre et consciente offre une perspective stimulante sur la manière de revitaliser nos pratiques démocratiques et managériales. Il s’agit en définitive de faire confiance aux personnes sur le terrain, qu’il s’agisse de soldats ou de citoyens, et de leur donner les moyens d’agir de leur propre initiative pour atteindre un objectif collectif. Ce paradigme, fondé sur l’intention partagée, l’autonomie et la responsabilité, trouve aujourd’hui des échos dans la gouvernance des organisations, l’éducation, l’innovation et les mouvements citoyens.
Les exemples analysés – des entreprises adoptant un leadership par mission jusqu’aux conventions citoyennes ou mouvements comme Extinction Rebellion – montrent que lorsqu’un cadre approprié est posé, des acteurs dispersés peuvent converger vers des solutions efficaces et créatives, souvent plus rapidement et avec plus d’appropriation qu’une démarche centralisée classique. Bien sûr, la transposition n’est pas littérale : un citoyen n’est pas un soldat, l’autorité politique n’est pas un commandant militaire, et la motivation volontaire diffère de la discipline. Mais les principes sous-jacents (vision claire, subsidiarité, initiative locale, feedback mutuel, confiance) forment un socle commun adaptable.
En Belgique et en Europe, où l’on cherche de nouvelles formes de démocratie plus directes et d’intelligence collective (budgets participatifs, jurys citoyens, assemblées délibératives permanentes…), intégrer l’esprit de l’Auftragstaktik pourrait signifier : définir de grands objectifs sociétaux ambitieux (par exemple la transition écologique, la cohésion sociale locale), et co-construire avec les citoyens les chemins pour y parvenir, en acceptant de leur déléguer une part du pouvoir de conception et de décision. Les conditions de réussite – que nous avons détaillées – sont exigeantes : il faut du temps, de la pédagogie, et un vrai changement de culture aussi bien chez les décideurs que chez les citoyens (passer du rôle d’exécutant-consommateur de politique à celui de co-décideur actif). Mais les bénéfices potentiels sont à la hauteur : décisions mieux adaptées et plus légitimes, créativité démultipliée, engagement civique renforcé.
Finalement, l’idéal d’une participation citoyenne libre et consciente rejoint la belle promesse de l’Auftragstaktik : « libérer les énergies de chacun au service du but commun ». Dans un monde incertain qui requiert agilité et intelligence distribuée, ce mariage des deux concepts – militaire et civil – nous invite à repenser tant notre gouvernance publique que nos modes d’organisation collective, pour les rendre à la fois plus humains, réactifs et efficaces. Les expériences pionnières en cours en sont le laboratoire vivant, et chaque succès dans ce domaine est un pas de plus vers une société où l’autonomie coopérative n’est plus une utopie, mais une pratique quotidienne de la démocratie.
Sources utilisées :
- Goya, Michel (cité par R. de Chambrun), Revue Défense Nationale, n° 840 (2021) – « La subsidiarité : au-delà du principe, un procédé à adapter aux réalités des conflits modernes ».
- Marshall, Bob – How to Build an Auftragstaktik Business Team, Think Different blog (2023).
- Educap.io – Autonomie des élèves : encourager la responsabilité et l’initiative (article pédagogique, 2023).
- YCombinator Hacker News – Commentaire de g\_sch (12/06/2023) sur The Tyranny of Structurelessness.
- Site d’Extinction Rebellion Global – FAQ : À propos d’XR (consulté en 2025).
- France Culture – Extinction Rebellion : un mouvement décentralisé et horizontal (reportage radio, 2019).
- Missions Publiques – Convention Citoyenne pour le Climat (retour d’expérience, 2020).
- Centre Avec (Christoph Niessen) – Le modèle de dialogue citoyen permanent en Communauté germanophone de Belgique (revue En Question n°137, 2021).
- Politique (revue belge), n°119, Edith Wustefeld – « L’autogestion peut-elle inspirer notre démocratie ? » (2022).
- Chet Richards, Slightly East of New blog – Auftragstaktik in one simple diagram (2020).