Méga Dossier - L'info c'est le pouvoir

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Souad
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Introduction

L’information joue un rôle central dans nos sociétés contemporaines en tant que levier de connaissance et de pouvoir. L’adage « savoir, c’est pouvoir » illustre bien l’idée que détenir et maîtriser l’information renforce la capacité d’agir des individus et des communautés. Ce dossier propose une exploration détaillée du rôle de l’information dans l’empouvoirement individuel (le fait pour une personne de gagner en autonomie et en capacité d’action) et dans le pouvoir d’agir collectif (la faculté d’un groupe à se mobiliser et à influencer le changement social). Nous adopterons une approche globale, avec un accent particulier sur les sociétés occidentales, et nous appuierons notre analyse sur des sources en sciences de l’information, sociologie, communication et sciences politiques.

Nous commencerons par clarifier ce qu’est l’information et comment elle se distingue des données et des connaissances. Nous examinerons ensuite comment l’accès, le traitement et la diffusion de l’information influencent la capacité d’un individu à comprendre son environnement, à prendre des décisions éclairées et à agir. Puis, nous analyserons le rôle de l’information dans les dynamiques collectives – notamment la mobilisation sociale, les mouvements citoyens et l’intelligence collective. Nous aborderons également les enjeux de pouvoir liés à l’information : asymétries informationnelles, désinformation, censure et surveillance. Enfin, nous discuterons des pratiques d’éducation populaire visant la réappropriation de l’information par les citoyens, et nous illustrerons l’ensemble par des exemples historiques et contemporains montrant comment l’information a été un vecteur de transformations sociales, notamment en Occident.

Avant d’aborder l’information comme facteur d’empouvoirement, il est crucial de définir ce terme et de le distinguer des notions connexes de données et de connaissances. En sciences de l’information, on distingue généralement ces trois niveaux : les données constituent la matière première brute, l’information est le produit d’un traitement qui donne du sens aux données, et la connaissance est l’appropriation de l’information par un esprit qui l’intègre à son expérience. Ce modèle souvent présenté sous forme de pyramide (données → information → connaissance → sagesse) est appelé modèle DIKW (pour Data, Information, Knowledge, Wisdom), ou pyramide DICS en français (Données, Information, Connaissances, Sagesse)

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La pyramide DICS (Données → Information → Connaissance → Sagesse) - modèle hiérarchique de transformation des données brutes en savoir utilisable.
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Données
Ce sont des faits bruts, des chiffres ou des observations élémentaires, pris isolément, sans interprétation ni mise en contexte. Les données représentent simplement une portion de la réalité, sans que leur signification ne soit explicitée. Par exemple, une liste de températures relevées chaque jour ou des réponses brutes à un sondage constituent des données. En l’état, « les données sont des faits bruts et des chiffres sans signification fondamentale. Il s’agit d’une forme non traitée de connaissance qui ne véhicule pas de valeur ou de signification »​.) Pour acquérir une valeur utile, les données doivent être organisées, analysées et interprétées​. On distingue généralement les données quantitatives (mesurables en chiffres, par ex. un prix, un poids) et les données qualitatives (décrivant une qualité, par ex. une couleur, un nom)​.

Information
L’information correspond à des données qui ont été traitées et placées dans un contexte leur donnant un sens utile. C’est une donnée enrichie par de la signification. « L’information est constituée de données traitées, organisées, structurées et fournissant un contexte significatif et utile. Contrairement aux données, l’information a une signification ». Autrement dit, l’information naît lorsque l’on apporte une valeur ajoutée aux données – par des opérations comme le calcul, la catégorisation, la mise en contexte ou la correction des erreurs​​. Par exemple, calculer la moyenne des températures sur un mois transforme les données journalières en une information (une tendance climatique mensuelle) ; de même, interpréter les résultats d’un sondage pour en dégager une opinion publique est une information issue de données brutes.

Connaissance
La connaissance est le niveau supérieur, où l’information est appropriée et interprétée par un individu, enrichie de l’expérience et des valeurs de celui-ci. Davenport et Prusak (1998), deux spécialistes du management des connaissances, définissent la connaissance comme « plus vaste, profonde et riche que les données ou l’information ». Elle résulte d’un « mélange fluide d’expériences encadrées, de valeurs, d’informations contextuelles et d’intuitions d’experts qui fournit un cadre pour évaluer et intégrer de nouvelles expériences et informations ». La connaissance naît et s’applique « dans l’esprit des individus connaissants », et se traduit par la capacité d’agir en fonction de l’information assimilée​. En somme, la connaissance implique une compréhension approfondie qui permet de tirer des conclusions, d’élaborer des savoir-faire et éventuellement de dégager une forme de sagesse dans l’action. Par exemple, un médecin convertit les informations médicales (symptômes, analyses) en connaissance grâce à son expérience clinique, ce qui lui permet de poser un diagnostic et de décider d’un traitement.



Le tableau ci-dessous synthétise ces distinctions :
Données (Data)Information (Information)Connaissances (Knowledge)
Faits bruts, sans interprétation ni contexte​.Données traitées et organisées pour leur donner du sens​.Information assimilée par l’individu et intégrée à son expérience (savoir en action)​.
Objectives mais non signifiantes en elles-mêmes.Dotées d’une signification utile dans un contexte donné.Subjectives, propres à chaque personne ou organisation (en lien avec les valeurs, l’expertise)​.
Exemples : mesure brute (température, chiffre de vente).Exemples : indicateur calculé (moyenne, tendance), explication d’un phénomène.Exemples : compétence, expertise, leçons tirées de l’expérience.


Il est important de noter que l’information est un concept polysémique qui a été largement étudié en sciences de l’information et de la communication. Étymologiquement, le mot « information » vient du latin informare qui signifie « donner forme à » l’esprit​. L’information peut désigner à la fois le message en lui-même et les symboles utilisés pour le communiquer​. Dans un sens fondamental, l’information est ce qui relie notre expérience du monde avec le monde lui-même – c’est le lien entre nos perceptions et la réalité, un contenu porteur de sens qui nous permet de structurer notre compréhension du réel.

En résumé, les données sont des éléments bruts, l’information est ce qui leur donne du sens, et les connaissances sont l’appropriation de ces informations par un individu ou un collectif, leur intégration dans un cadre plus large de compréhension. Cette clarification posée, nous pouvons maintenant explorer comment l’information, entendue comme ce contenu signifiant, influence le pouvoir d’agir des individus et des groupes.


Sources:

2. L’accès et la maîtrise de l’information comme leviers d’empouvoirement individuel

Un individu informé est en mesure de mieux comprendre son environnement, de prendre des décisions éclairées et d’agir de manière plus autonome. L’empouvoirement individuel (ou autonomisation, parfois traduit de l’anglais empowerment) désigne le processus par lequel une personne gagne en pouvoir sur sa propre vie, développe sa capacité à faire des choix et à les transformer en actions et en résultats. L’information est un ingrédient essentiel de ce processus.


À Suivre…

2.1 Comprendre le monde grâce à l’information
2.2 Décider et agir de manière éclairée
2.3 Information et inégalités : le fossé informationnel
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2. L’accès et la maîtrise de l’information comme leviers d’empouvoirement individuel

Un individu informé est en mesure de mieux comprendre son environnement, de prendre des décisions éclairées et d’agir de manière plus autonome. L’empouvoirement individuel (ou autonomisation, parfois traduit de l’anglais empowerment) désigne le processus par lequel une personne gagne en pouvoir sur sa propre vie, développe sa capacité à faire des choix et à les transformer en actions et en résultats. L’information est un ingrédient essentiel de ce processus.

2.1 Comprendre le monde grâce à l’information

Accéder à une information diversifiée et fiable permet à un individu de comprendre les enjeux qui l’entourent. Cela va du simple fait d’être au courant de ses droits (par exemple, connaître les aides sociales disponibles ou les lois qui le protègent) jusqu’à la compréhension de phénomènes complexes (comme les mécanismes économiques, les débats scientifiques ou les dynamiques politiques). Une personne bien informée est plus à même d’analyser de manière critique la situation présente et d’anticiper les conséquences possibles de tel ou tel événement.

Disposer d’information, c’est un peu « donner forme à son esprit » – pour reprendre l’étymologie – face à la réalité. Par exemple, un patient qui comprend sa maladie et les options de traitement grâce à des informations médicales vulgarisées sera plus apte à participer aux décisions concernant sa santé. De même, un citoyen qui s’informe sur les programmes des candidats et sur les faits d’actualité votera de manière plus éclairée.

À l’inverse, le manque d’information (ou la détention d’informations erronées) limite la compréhension. On parle d’illettrisme informationnel ou d’analphabétisme médiatique pour décrire l’incapacité à trouver, comprendre ou évaluer correctement l’information, ce qui constitue un frein à l’autonomie. C’est pourquoi de nombreux spécialistes et organisations insistent sur la nécessité de développer l’éducation aux médias et à l’information (EMI) afin que chacun acquière les compétences pour chercher, évaluer et utiliser l’information efficacement​. L’UNESCO, par exemple, définit la maîtrise de l’information (information literacy) comme un ensemble de compétences qui « permettent aux personnes de toutes les sphères de la vie de rechercher, évaluer, utiliser et créer de l’information efficacement pour atteindre leurs objectifs personnels, sociaux, professionnels et éducatifs »​. En d’autres termes, savoir s’informer et traiter l’information est devenu indispensable pour être un citoyen autonome dans une société de la connaissance.

2.2 Décider et agir de manière éclairée

L’information de qualité est la base des décisions éclairées. Un individu qui dispose des faits et des connaissances nécessaires pourra peser le pour et le contre d’une décision avec bien plus de pertinence qu’une personne tenue dans l’ignorance. On attend d’un consommateur qu’il soit informé (sur les prix, la qualité des produits) pour faire jouer la concurrence, d’un électeur qu’il connaisse les enjeux pour voter, ou encore d’un chef d’entreprise qu’il suive l’information économique pour ajuster sa stratégie. Dans toutes ces situations, l’information réduit l’incertitude et augmente la prédictibilité des conséquences d’un choix, ce qui est un prérequis pour décider rationnellement.

Plus encore, l’accès à l’information est souvent décrit comme un moyen d’émancipation personnelle. Un exemple parlant concerne l’émancipation des femmes : « L’accès à l’information est fondamental pour l’émancipation des femmes. […] Il permet [notamment] de prendre des décisions éclairées sur des aspects de leur vie, de faire pression sur le gouvernement et les détenteurs du pouvoir afin qu’ils garantissent leurs droits, […] et de s’engager de manière plus significative dans la vie publique ».

Ce constat, établi par l’ONG Article 19 à propos des inégalités de genre, est valable de manière générale : pouvoir s’informer sur les sujets qui nous concernent (santé, travail, éducation, vie civique, etc.) donne le pouvoir de choisir en connaissance de cause. Par exemple, une personne qui connaît ses droits du travail sera mieux armée pour se défendre face à un employeur abusif ; un agriculteur qui s’informe sur la météo et les techniques aura plus de prise sur sa production.

Une fois la décision prise, l’information continue de jouer un rôle dans le passage à l’action. Elle peut indiquer comment agir (par exemple, un tutoriel technique permet d’apprendre à réparer un objet, une brochure administrative explique les démarches à effectuer pour créer une association, etc.), elle peut fournir des ressources (contacts, adresses, fonds documentaires) et elle peut soutenir la motivation en documentant les réussites passées d’actions similaires (ce qui donne confiance en la possibilité de réussir).

En somme, l’information renforce l’agentivité individuelle – c’est-à-dire la capacité d’un individu à agir délibérément pour influencer sa vie et son environnement. À travers l’information, l’individu développe son esprit critique, son jugement et sa confiance en soi pour agir. C’est pourquoi de nombreux programmes de développement ou d’action sociale intègrent un volet « accès à l’information » : par exemple, la création de bibliothèques, de centres de ressources communautaires, de plateformes en ligne ouvertes, ou la diffusion de guides pratiques, visent à donner aux personnes les moyens informationnels d’agir par elles-mêmes.

2.3 Information et inégalités : le fossé informationnel

Si l’information est un pouvoir, alors être privé d’information ou avoir un accès limité crée un désavantage. On parle de fracture numérique (ou fossé numérique) pour décrire les inégalités d’accès aux technologies de l’information (par exemple, ne pas avoir Internet aujourd’hui constitue un sérieux handicap pour s’informer). Mais même au-delà de la technique, il existe un fossé informationnel entre les individus. Certains segments de la population, du fait de la langue, du niveau d’éducation ou de la censure, ont moins accès à l’information utile. La notion d’information pauvre (information poor) a été développée en bibliothéconomie pour désigner les personnes qui, par manque d’accès ou de compétences, ne peuvent pas bénéficier de l’information disponible.

Ces inégalités informationnelles recoupent souvent d’autres inégalités sociales : les populations défavorisées économiquement ou socialement sont aussi celles qui ont le moins accès à une information diversifiée et de qualité. D’où l’importance de politiques publiques garantissant le droit à l’information et à la liberté d’expression, qui sont reconnus comme des droits humains fondamentaux par l’ONU. En effet, « le droit à l’information contribue à garantir une autonomie physique, économique et politique », et les États ont l’obligation de lever les obstacles structurels à l’exercice de ce droit​. Dans de nombreux pays, des lois sur la transparence et l’accès aux documents publics permettent aux citoyens de demander des informations à l’administration, car l’on considère que l’information détenue par les autorités publiques appartient en quelque sorte aux citoyens et doit leur revenir pour qu’ils puissent participer pleinement à la vie démocratique.

Enfin, il convient de souligner que l’information n’est pas une panacée automatique : il faut aussi la capacité à l’assimiler. Un flot d’information mal trié peut mener à l’infobésité (surcharge informationnelle) où l’individu se sent perdu face à trop de données disparates. La compétence ne réside pas seulement dans l’accès, mais aussi dans le tri critique de l’information pertinente. C’est là qu’intervient l’éducation et la littératie informationnelle mentionnée plus haut. Un individu véritablement empowered par l’information est celui qui sait rechercher la bonne information, l’évaluer (distinguer le fiable du douteux) et l’utiliser à bon escient pour ses objectifs propres.

En conclusion de cette partie, on retiendra que l’information – en tant que savoir structuré et disponible – est un ressort d’émancipation individuelle. Elle éclaire l’esprit, guide l’action et confère à l’individu une maîtrise accrue de son destin. Comme l’exprime la philosophe Hannah Arendt, la liberté d’action politique des individus passe par leur capacité à se forger une opinion éclairée dans l’espace public ; cela présuppose l’existence et l’accessibilité d’informations véridiques. Nous allons voir à présent que cette dynamique se retrouve amplifiée au niveau collectif : l’information est tout aussi cruciale pour le pouvoir d’agir des groupes et des sociétés.



Source: article19.org





3. Rôle de l’information dans les dynamiques collectives : mobilisation, mouvements et intelligence collective

Au-delà de l’individu, l’information est le carburant de la vie collective. Qu’il s’agisse de mobiliser des citoyens autour d’une cause, de coordonner l’action d’un groupe ou de mettre en commun des savoirs pour innover, l’information circule et lie les acteurs entre eux. Dans l’histoire comme dans le présent, on observe que les grands mouvements sociaux et les progrès collectifs ont été indissociables de la diffusion d’informations nouvelles. Cette section examine successivement comment l’information permet la mobilisation sociale et les mouvements citoyens, puis comment elle participe à l’émergence d’une intelligence collective.

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3.1 Mobilisation sociale et mouvements citoyens
3.2 Intelligence collective et partage du savoir
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3. Rôle de l’information dans les dynamiques collectives : mobilisation, mouvements et intelligence collective

Au-delà de l’individu, l’information est le carburant de la vie collective. Qu’il s’agisse de mobiliser des citoyens autour d’une cause, de coordonner l’action d’un groupe ou de mettre en commun des savoirs pour innover, l’information circule et lie les acteurs entre eux. Dans l’histoire comme dans le présent, on observe que les grands mouvements sociaux et les progrès collectifs ont été indissociables de la diffusion d’informations nouvelles. Cette section examine successivement comment l’information permet la mobilisation sociale et les mouvements citoyens, puis comment elle participe à l’émergence d’une intelligence collective.

3.1 Mobilisation sociale et mouvements citoyens

Un mouvement social naît souvent d’une prise de conscience collective face à une situation jugée injuste ou intolérable. Cette prise de conscience repose sur la circulation d’informations : informations sur l’existence du problème, sur son ampleur, sur les acteurs en cause, sur les possibilités de changement, etc. Sans information partagée, le mécontentement reste diffus et individuel ; avec l’information, il peut se transformer en indignation collective puis en action organisée.

Les sociologues des mouvements sociaux soulignent l’importance de la communication. dans ces dynamiques. Un mouvement social est « une entreprise collective qui réunit plusieurs acteurs […] se positionnant pour contester un ordre établi » (Diani & McAdam)​[journals.openedition.org

Or, « sans médiatisation, les mouvements sociaux ne peuvent guère prétendre au succès » souligne le politiste Patrick Champagne – « les malaises sociaux n’ont une existence visible que lorsque les médias en parlent » journals.openedition.org.

Autrement dit, tant qu’une cause n’est pas portée à la connaissance du public par l’information, elle peine à rassembler au-delà d’un petit noyau. L’histoire récente offre de nombreux exemples où un événement relayé par les médias a servi de déclencheur à des mobilisations massives.

Un cas emblématique est celui des mouvements du Printemps arabe en 2011 : en Tunisie, la diffusion sur Internet puis dans les médias traditionnels des informations (textes, images, vidéos) sur l’immolation de Mohammed Bouazizi et la répression des premières manifestations a indigné la population bien au-delà de la ville d’origine. De proche en proche, l’information a fédéré les colères locales en un mouvement national qui a conduit à la chute du régime. Des chercheurs ont montré comment les médias traditionnels avaient relayé les contenus postés sur les réseaux sociaux par des blogueurs militants, permettant de toucher aussi les citoyens non connectés et d’étendre la protestation.

Ce schéma s’est répété en Égypte, en Syrie et ailleurs : des slogans, des images de manifestants, des témoignages circulant via Facebook, Twitter, YouTube, puis repris par Al Jazeera ou d’autres chaînes, ont catalysé le soutien de millions de personnes. L’information a joué ici un rôle de détonateur et de ciment du mouvement.

Dans les sociétés occidentales, on observe également que chaque grand mouvement s’est appuyé sur des vecteurs d’information. La mobilisation pour les droits civiquesdes Afro-Américains dans les années 1960 aux États-Unis a notamment été amplifiée par les images télévisées des marches pacifiques brutalement réprimées, images qui ont choqué l’opinion publique et accru le soutien à la cause. Plus récemment, le mouvement Black Lives Matter s’est déclenché et propagé suite à la diffusion de vidéos amateurs montrant les violences policières. Par exemple, l’horrible vidéo de l’assassinat de George Floyd par un policier à Minneapolis, publiée en ligne fin mai 2020, a été vue des millions de fois en quelques heures ; « le lendemain de la mort de Floyd, la vidéo largement partagée sur les réseaux sociaux a déclenché des manifestations à Minneapolis, avant de s’étendre à travers les États-Unis et dans de nombreux autres pays » (participedia.net).

Ce cas montre la puissance des technologies numériques pour informer en temps quasi réel la population et créer un choc émotionnel collectif débouchant sur l’action (les plus grandes manifestations antiracistes depuis les années 1960 ont eu lieu dans les semaines qui ont suivi, aux USA et en Europe).

L’information circule dans ces mouvements via divers canaux : médias de masse (presse, radio, TV), réseaux sociaux numériques, mais aussi moyens plus traditionnels comme les tracts, affiches, meetings. Toute forme de protestation s’accompagne de la production d’un discours public – c’est-à-dire d’informations, de récits, d’arguments portés à la connaissance de la société. Les mouvements écologistes, par exemple, ont largement utilisé des études scientifiques sur le climat ou la biodiversité pour légitimer leurs revendications ; ils les vulgarisent et les diffusent pour convaincre et mobiliser (on peut penser aux rapports du GIEC qui, relayés par les médias et les militants, ont sensibilisé l’opinion aux enjeux du réchauffement climatique).

Inversement, un pouvoir en place peut chercher à étouffer un mouvement en contrôlant l’information (nous aborderons plus loin la censure et la désinformation). Dans les démocraties libérales, la règle est que l’information circule relativement librement, ce qui donne lieu à une sorte de marché de l’attention : les différentes causes en compétition cherchent à gagner la visibilité médiatique. Comme le note Erik Neveu, « la couverture médiatique induit la promotion de certaines causes et la relégation d’autres » (journals.openedition.org).

De fait, sans relais informatif, un mouvement reste invisible. Cette nécessité a poussé les militants à créer leurs propres canaux d’information quand les médias classiques les ignoraient ou les déformaient. Ainsi a-t-on vu émerger des médias alternatifs liés aux mouvements sociaux (comme Indymedia, né à l’époque des mobilisations altermondialistes de la fin des années 1990, ou toute une galaxie de sites et de blogs militants aujourd’hui). L’essor d’Internet a démultiplié ces possibilités d’auto-communication du mouvement social, ce que le sociologue Manuel Castells appelle la communication en réseau du pouvoir horizontal : les activistes peuvent diffuser directement leurs messages sur les réseaux en contournant les grands médias.

En somme, l’information est pour le collectif ce que l’oxygène est au feu : elle peut embraser une cause en la répandant. La mise en visibilité d’un problème public via l’information est souvent l’étape initiale de sa prise en charge politique. Une société où l’information circule librement est ainsi plus susceptible de voir émerger des mouvements citoyens dynamiques, car les individus isolés découvrent qu’ils partagent des préoccupations communes et peuvent se rassembler. C’est une condition de la sphère publique au sens d’Habermas, cet espace de débat ouvert où se forme l’opinion publique. Dans la sphère publique moderne, les médias (journaux, TV, aujourd’hui réseaux sociaux) jouent un rôle structurel : « la sphère publique est un lieu commun à tous, où les idées et les informations peuvent être échangées » (fr.wikipedia.org), que ce soit par les médias de masse, les réunions ou les forums en ligne. C’est par ce débat informé que l’opinion publique peut influencer l’action politique​ (fr.wikipedia.org).


3.2 Intelligence collective et partage du savoir

Au-delà de la contestation ou de la mobilisation, l’information est également le support de ce qu’on appelle l’intelligence collective. Ce concept désigne la capacité d’un groupe à penser et créer ensemble en agrégeant les connaissances et compétences de chacun de ses membres. L’idée est qu’un collectif peut résoudre des problèmes ou innover plus efficacement qu’un individu isolé, à condition de bien communiquer et mettre en commun l’information.

Le philosophe Pierre Lévy, qui a beaucoup contribué à populariser ce concept, définit l’intelligence collective comme une « intelligence partout distribuée, sans cesse valorisée, coordonnée en temps réel, qui aboutit à une mobilisation effective des compétences » (fr.wikipedia.org).

Autrement dit, chaque individu détient une part de savoir (« personne ne sait tout, mais tout le monde sait quelque chose »), et si l’on parvient à relier ces savoirs individuels dans un réseau d’échanges ouverts, on obtient une somme supérieure à la simple addition des connaissances individuelles. L’information circule dans ce réseau et sert de liant, permettant à chacun d’enrichir la réflexion commune.

On peut trouver des exemples d’intelligence collective à toutes les échelles :
  • Dans une petite équipe de travail qui brainstorme ensemble et trouve une solution innovante grâce aux idées partagées par tous.
  • Dans une communauté en ligne comme Wikipedia, où des milliers de bénévoles mettent en commun leurs connaissances pour rédiger la plus grande encyclopédie jamais construite. Wikipedia illustre bien comment l’infrastructure numérique permet de canaliser l’information apportée par chacun (articles, corrections, sources) vers un bien commun informationnel accessible à tous. Sans réseau informationnel, pas de wiki collaboratif possible.
  • Dans des projets de science participative, où des citoyens collectent des données (sur la biodiversité, sur leurs symptômes médicaux, etc.) et les chercheurs les compilent pour faire avancer la connaissance scientifique. Ici encore, c’est le partage d’information (les données collectées et remontées) qui rend possible l’analyse globale.
  • Au niveau d’une nation, on peut parler d’intelligence collective démocratique quand les citoyens délibèrent et contribuent à la prise de décision via des débats publics informés, des consultations, etc. Plus l’information circule entre les citoyens et les institutions, plus la décision peut bénéficier de l’expertise diffuse dans la population.


L’ère numérique a donné un coup d’accélérateur sans précédent à l’intelligence collective en réseau. Grâce à Internet, il est devenu possible de mobiliser très rapidement un grand nombre de cerveaux autour d’une tâche informationnelle. Par exemple, lors de catastrophes naturelles, des communautés de volontaires en ligne se forment pour analyser des images satellites ou recouper des listes de survivants (on a vu cela après le séisme à Haïti de 2010 ou lors de certains ouragans). De même, des développeurs du monde entier collaborent sur des projets de logiciels libres, partageant leur code et leurs connaissances techniques pour produire des outils collectifs. Ce mode de production, que Yochai Benkler appelle la « production entre pairs basée sur les communs », s’appuie sur un afflux libre d’informations (dans le cas du logiciel libre, le code est ouvert, donc toute l’information nécessaire pour comprendre et contribuer est accessible, ce qui permet la contribution du plus grand nombre).

Notons que l’intelligence collective n’est pas automatique : elle requiert des mécanismes de coordination et de confiance. Si l’information partagée est chaotique ou fausse, le groupe ne produira pas une intelligence supérieure, au contraire (un groupe peut aussi se tromper collectivement, phénomène de la « folie des foules »). Pour que l’intelligence collective émerge, il faut souvent des plateformes ou des protocoles qui organisent l’échange d’informations. Wikipedia par exemple a ses règles de contribution et de vérifiabilité ; une réunion de travail efficace a un animateur qui synthétise l’information ; une communauté en ligne a des modérateurs, etc. L’information doit circuler, mais aussi être structurée et évaluée pour que le groupe en tire de la valeur.

Malgré ces défis, de nombreuses organisations et mouvements tentent de favoriser l’intelligence collective. On parle d’innovation ouverte lorsque des entreprises partagent certaines informations pour innover avec des partenaires externes. En politique, on voit se développer des initiatives de démocratie participative où l’on collecte l’avis et les propositions des citoyens (par exemple via des plateformes de consultation en ligne) – là encore, l’idée est de mettre en commun un grand nombre d’informations et d’idées pour améliorer la décision finale. Dans le champ de la gestion des biens communs, Elinor Ostrom a montré que des communautés locales pouvaient, grâce à l’échange d’informations et à des règles collectives, gérer durablement des ressources communes sans autorité centrale.

En définitive, l’information est le nervure du lien social : elle permet à la société de se connaître elle-même et d’agir ensemble. Une société où l’information circule aisément entre les individus tend à valoriser l’intelligence collective, ce qui peut se traduire par plus de créativité, de résilience et de démocratie. Cependant, et nous allons y venir, cette circulation de l’information n’est jamais neutre vis-à-vis du pouvoir. Maîtriser l’information, c’est maîtriser en partie l’orientation que prendra l’intelligence collective. C’est pourquoi les enjeux de contrôle de l’information sont si cruciaux.



À Suivre...

4. Pouvoir et information : asymétries, désinformation, censure, surveillance

Parce que l’information confère du pouvoir, sa maîtrise fait l’objet de luttes et d’enjeux de contrôle au sein de la société. Ne pas avoir accès à une information que d’autres possèdent, ou au contraire être manipulé par de fausses informations, peut placer un individu ou un groupe en situation de faiblesse. Dans cette section, nous abordons plusieurs phénomènes où le rapport de pouvoir est lié à l’information : l’asymétrie informationnelle, la désinformation, la censure et la surveillance.
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4. Pouvoir et information : asymétries, désinformation, censure, surveillance

Parce que l’information confère du pouvoir, sa maîtrise fait l’objet de luttes et d’enjeux de contrôle au sein de la société. Ne pas avoir accès à une information que d’autres possèdent, ou au contraire être manipulé par de fausses informations, peut placer un individu ou un groupe en situation de faiblesse. Dans cette section, nous abordons plusieurs phénomènes où le rapport de pouvoir est lié à l’information : l’asymétrie informationnelle, la désinformation, la censure et la surveillance.

4.1 Asymétries informationnelles : savoir, c’est pouvoir… pour certains

Le concept d’asymétrie d’information vient de l’économie, où il décrit une situation d’échange dans laquelle une partie détient plus d’informations qu’une autre. Dans un marché, par exemple, le vendeur peut connaître des défauts d’un produit que l’acheteur ignore, ce qui lui donne un avantage injuste. De manière générale, « l’asymétrie d’information correspond à la situation dans laquelle un des partenaires à l’échange dispose de plus d’informations que l’autre partie »​

schoolmouv.fr

Cette asymétrie crée un déséquilibre de pouvoir. Celui qui sait peut tirer profit de celui qui ne sait pas, ou orienter la décision dans son intérêt. Le concept a été popularisé par l’économiste George Akerlof dans son article sur le « marché des lemons » (1970) : il montrait que si les acheteurs de voitures d’occasion ne savent pas distinguer une bonne voiture d’une « lemon » (citron, argot pour une épave), les vendeurs véreux en profitent, ce qui finit par faire chuter la confiance et la qualité moyenne sur le marché. C’est pourquoi introduire de la transparence (par exemple un carnet d’entretien vérifié, un contrôle technique public) peut rétablir la confiance et l’efficacité du marché. On voit ici qu’une meilleure diffusion de l’information (réduisant l’asymétrie) est bénéfique collectivement.

Les asymétries informationnelles ne concernent pas que les transactions marchandes. En politique, on peut parler d’asymétrie d’information entre les gouvernants et les citoyens : les gouvernants ont accès à des données, des analyses confidentielles dont le public ne dispose pas, ce qui rend le contrôle démocratique plus difficile. D’où l’importance de la transparence et de la presse d’investigation pour réduire cette asymétrie et permettre aux citoyens de savoir ce qui se fait en leur nom. Dans le domaine de la santé, il existait historiquement une forte asymétrie entre le médecin (détenteur du savoir médical) et le patient profane. Aujourd’hui, avec Internet, les patients ont accès à beaucoup d’informations, ce qui tend à rééquilibrer partiellement la relation (même si le médecin reste l’expert).

Cependant, toute asymétrie n’est pas nécessairement illégitime : certaines sont temporaires ou liées à l’expertise. Le vrai problème est quand l’asymétrie est entretenue délibérément par l’une des parties pour conserver un pouvoir. Par exemple, une entreprise peut dissimuler des informations nuisibles (pollutions, dangers d’un produit) pour éviter des poursuites – on a vu cela avec l’industrie du tabac qui connaissait les effets cancérigènes bien avant que le public en soit informé. Là, l’asymétrie sert un rapport de domination et cause un tort collectif.

Dans les sociétés occidentales modernes, il existe de nombreux mécanismes pour limiter les asymétries : lois sur l’étiquetage des produits, obligations pour les sociétés cotées en bourse de publier leurs comptes, procédures de concertation publique, etc. Ces mécanismes visent à rendre l’information plus symétriquement disponible. Néanmoins, à l’ère du numérique, de nouvelles asymétries apparaissent. Par exemple, les grandes plateformes Internet (GAFA) accumulent des quantités massives de données sur les utilisateurs (données de navigation, de localisation, historiques d’achats, etc.) et ces utilisateurs n’ont souvent qu’une idée très vague de ce qui est collecté et comment c’est utilisé. Cette asymétrie d’information entre l’individu et les géants du numérique confère à ces derniers un pouvoir d’influence considérable (profilage publicitaire, capacité à anticiper les comportements, etc.). C’est une préoccupation majeure en termes de vie privée et de pouvoir de marché, qui pousse à réclamer plus de transparence de la part des entreprises tech.

En résumé, les asymétries informationnelles rappellent que la distribution inégale du savoir crée du pouvoir inégal. Combattre ces asymétries par la transparence, l’éducation et l’accès pour tous à l’information est un enjeu démocratique et éthique important, afin que l’information ne devienne pas une source d’oppression des uns par les autres.

4.2 Désinformation : manipuler l’opinion par de fausses informations

Si l’information est une arme, il est tentant pour certains d’en fausser la trajectoire. La désinformation désigne l’ensemble des pratiques consistant à diffuser délibérément de fausses informations ou des informations biaisées dans le but d’influencer l’opinion ou de servir un intérêt particulier​

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Il s’agit d’une forme de manipulation de l’information, volontaire, à ne pas confondre avec la simple mésinformation (erreur non intentionnelle). La désinformation se rapproche de notions comme la propagande, les rumeurs ou les « fake news », même s’il y a des distinctions subtiles dans les motivations et les cibles​

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Historiquement, la désinformation n’a rien de nouveau. Les stratèges militaires de l’Antiquité, comme Sun Tzu, évoquaient déjà l’usage d’informations trompeuses pour induire l’ennemi en erreur​

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Au XXe siècle, la propagande d’État pendant les guerres mondiales et la Guerre froide a constitué de vastes entreprises de désinformation (utilisation de médias contrôlés pour diffuser de la fausse nouvelle, mise en scène mensongère, réécriture de l’histoire, etc.). Walter Lippmann dès 1922 parlait de « fabrique du consentement » pour décrire comment l’opinion publique pouvait être modelée par des récits simplifiés ou biaisés​

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Edward Bernays, en 1928, théorisait dans Propaganda l’art d’influencer les masses par les relations publiques et la publicité​

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Dans les régimes autoritaires, la désinformation est un outil assumé du pouvoir, qui contrôle les médias et diffuse une version officielle déformée de la réalité. Mais même les démocraties libérales y recourent parfois, de manière plus subtile, par exemple sous forme de « spin » (communication politique qui présente les faits sous un angle très orienté) ou d’opérations d’influence menées par des services de renseignement.

Aujourd’hui, le terme de désinformation est surtout mis en avant dans le contexte d’Internet et des réseaux sociaux. Le phénomène des fake news a pris de l’ampleur : des contenus mensongers circulent virale-ment en ligne, parfois diffusés par des bots ou des groupes organisés, brouillant la frontière entre le vrai et le faux. Des campagnes de désinformation à grande échelle ont été documentées, par exemple lors de l’élection américaine de 2016 ou de la campagne du Brexit, où de faux comptes et des sites louches ont propagé des théories complotistes ou des fausses nouvelles pour polariser l’opinion. L’affaire Cambridge Analytica (2018) a mis en lumière comment des données personnelles de millions d’utilisateurs Facebook avaient été utilisées pour cibler des messages politiquement biaisés, illustrant une intersection perverse entre asymétrie informationnelle et désinformation.

La désinformation pose un défi grave car elle sape la confiance dans l’information. Si les individus ne savent plus distinguer le vrai du faux, le débat public rationnel devient impossible et l’opinion peut être instrumentalisée à merci. De plus, la désinformation exploite souvent les biais cognitifs humains – par exemple, une fausse nouvelle sensationnaliste se propage plus vite qu’un démenti factuel plus nuancé (biais de négativité, biais de confirmation, etc.). Les réseaux sociaux, en privilégiant l’engagement émotionnel, peuvent favoriser involontairement la diffusion de ces contenus trompeurs.

Face à ce danger, plusieurs contre-mesures sont discutées ou mises en place en Occident :
  • Le fact-checking : de nombreux médias ont des rubriques de vérification des faits, et des organisations indépendantes (comme les Décodeurs du Monde en France, ou FactCheck.org aux USA) analysent et réfutent les fausses affirmations circulant publiquement.
  • Les régulations des plateformes : l’Union Européenne par exemple a adopté un plan de lutte contre la manipulation de l’information en ligne, encourageant les réseaux sociaux à retirer plus vite les faux comptes, à limiter la portée des fausses infos virales, etc.​

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C’est un équilibre délicat avec la liberté d’expression, mais la tendance est à la responsabilisation accrue des diffuseurs d’information.
  • L’éducation aux médias : former les citoyens, dès l’école, à exercer leur esprit critique face aux informations, à reconnaître les techniques de désinformation (par exemple, l’usage de faux experts, de chiffres hors contexte, de théories du complot, etc.​

Des guides pratiques et des cours visent à « inoculer » les esprits contre la désinformation en apprenant à repérer les signes d’une infox.

Il faut noter qu’accuser de « désinformation » une information dérangeante peut aussi devenir une arme politique – d’où l’importance d’avoir des références indépendantes pour trancher. L’idéal démocratique est un écosystème informationnel où la pluralité des médias et la vigilance citoyenne permettent de filtrer progressivement les mensonges. C’est un combat permanent, car les désinformateurs innovent sans cesse (deepfakes, usines à trolls, etc.). L’issue de ce combat sera déterminante pour l’empouvoirement collectif : une population noyée dans la désinformation perd son pouvoir d’agir (on l’a vu tragiquement pendant la pandémie de COVID-19, où de fausses rumeurs sanitaires ont coûté des vies en dissuadant des personnes de se faire soigner correctement). En revanche, une population éduquée à l’esprit critique et avec des médias intègres résiste mieux aux manipulations et peut faire des choix plus libres.

4.3 Censure : priver d’information pour contrôler

La censure consiste, pour un pouvoir (politique, religieux, économique), à interdire ou limiter la diffusion d’informations ou d’expressions jugées indésirables. « La censure est la limitation de la liberté d'expression par un pouvoir […] sur des livres, médias ou œuvres d'art, avant ou après leur diffusion »​

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C’est donc le pendant direct de la liberté d’informer et d’être informé. Là où la désinformation inonde d’informations fausses, la censure assèche le flot d’informations disponibles en bloquant celles qui dérangent.

Dans l’histoire occidentale, la censure a longtemps été la norme : l’Église, par exemple, a établi dès la Renaissance un Index des livres interdits pour empêcher la diffusion des ouvrages contraires à la doctrine catholique. De nombreux régimes monarchiques ou impériaux contrôlaient étroitement la presse et l’édition, via des censeurs officiels. Il a fallu des luttes politiques pour conquérir la liberté de la presse. La France, par exemple, n’a vraiment garanti cette liberté qu’avec la loi du 29 juillet 1881, issue du combat des républicains et des militants d’éducation populaire (la Ligue de l’enseignement notamment)​

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Cette loi a supprimé le régime de censure préalable et posé le principe que l’on peut publier librement, sous réserve de répondre après coup de ses abus éventuels devant la justice (diffamation, incitation à la violence, etc.). Elle a été un pilier de la démocratie française, même si dans les faits la censure a pu ressurgir ponctuellement (en temps de guerre, par exemple, la presse a été contrôlée).

La censure peut prendre plusieurs formes :
  • Directe : interdiction explicite d’un journal, d’un livre, d’un film ; caviardage de passages ; blocage d’un site web ; emprisonnement ou sanction de journalistes pour les réduire au silence.
  • Indirecte : pression économique (un gouvernement ou une entreprise retire ses annonces publicitaires pour asphyxier un média trop critique), concentration des médias entre quelques mains amies du pouvoir, ce qui limite la pluralité (certains auteurs parlent de « censure indirecte non-officielle sous forme de pression due à la concentration des médias »​

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Il y a aussi l’autocensure : par crainte de représailles ou pour plaire à sa hiérarchie, un journaliste ou un éditeur va s’abstenir de publier certains sujets sensibles​

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Dans de nombreuses régions du monde aujourd’hui, la censure d’Internet est courante : la cybercensure empêche l’accès à des informations politiques (sites d’opposition bloqués), filtrage de réseaux sociaux, etc. Les pays comme la Chine, la Russie, l’Iran, ont mis en place des systèmes sophistiqués pour contrôler ce que les citoyens peuvent voir en ligne. Ces mesures s’accompagnent souvent de campagnes de propagande (désinformation) locales pour remplir le vide. On le voit, censure et désinformation vont souvent de pair comme outils de contrôle : supprimer les voix dissidentes et amplifier les voix favorables.

En Occident, si la censure étatique est officiellement bannie (sauf exceptions légales très précises : incitation à la haine, apologie du terrorisme...), on s’inquiète de nouvelles formes de censure liées aux plateformes numériques. Par exemple, les algorithmes de Facebook ou YouTube, en décidant quels contenus mettre en avant ou retirer (notamment via les règles de modération interne), exercent un pouvoir de fait sur la visibilité de l’information. Une décision de Facebook peut « déréférencer » un média alternatif et le faire quasiment disparaître du paysage pour de nombreux lecteurs – certains parlent de “déréférencement” ou “dévitalisation” comme d’une censure 2.0. La difficulté ici est que ces entreprises privées ne sont pas soumises exactement aux mêmes exigences que l’État, et le débat est vif pour savoir comment garantir la liberté d’expression à l’ère des plateformes globales.

Pourquoi le pouvoir censure-t-il ? Essentiellement pour maîtriser le récit et conserver son emprise. En empêchant la diffusion d’idées révolutionnaires, on freine les révolutions ; en cachant les scandales, on évite l’indignation publique ; en muselant la presse indépendante, on peut gouverner sans contre-poids. La censure est efficace à court terme pour maintenir le statu quo, mais souvent au prix d’un ressentiment croissant et d’un appauvrissement intellectuel de la société. L’exemple du bloc de l’Est pendant la Guerre froide est parlant : la censure y était forte, mais les citoyens se méfiaient de la propagande officielle et cherchaient avidement les samizdats (copies clandestines de livres interdits) et écoutaient les radios étrangères. L’information finit par trouver des brèches (d’où l’image de l’« underground » pour les circuits d’information clandestins).

En démocratie, la vigilance reste de mise contre toute tentation de censure excessive. Les enjeux de sécurité (lutte contre le terrorisme, etc.) ont parfois conduit à des lois de surveillance ou de censure qui inquiètent les défenseurs des libertés. Par exemple, bloquer administrativement des sites web sans décision de justice (pratique apparue dans certains pays contre des sites djihadistes) ouvre une brèche dans le principe de la liberté de communication. Il y a un équilibre délicat entre protéger le public (contre la haine, la violence) et préserver un débat libre. C’est un débat actuel dans nos sociétés, particulièrement à l’ère du numérique où l’information circule de façon anarchique.

En résumé, la censure est l’expression la plus brute de l’axiome « l’information, c’est le pouvoir » – celui qui a le pouvoir s’arroge le contrôle de l’information pour le conserver. À l’opposé, une société qui valorise l’empouvoirement individuel et collectif cherchera à minimiser la censure, et à garantir au contraire le droit de savoir et le droit de communiquer. C’est la base d’un citoyen capable et d’une communauté vivante.

4.4 Surveillance : information sur les individus et contrôle social

Le dernier enjeu de pouvoir que nous traiterons est la surveillance, qui est en quelque sorte l’asymétrie informationnelle poussée à l’extrême : un acteur (souvent l’État, ou des entreprises) collecte un maximum d’informations sur les individus, sans réciprocité, afin de les contrôler ou de les influencer. L’image du Panoptique, conceptualisée par Jeremy Bentham au XVIIIe siècle et analysée par Michel Foucault, est souvent utilisée pour représenter la surveillance. Dans une prison panoptique, un surveillant peut observer tous les prisonniers depuis une tour centrale sans être vu ; les détenus ne savent pas quand ils sont observés, ils intègrent donc cette possibilité et finissent par s’auto-discipliner en permanence​

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Foucault a montré que ce principe s’étend symboliquement à la société disciplinaire moderne – écoles, usines, hôpitaux – où la surveillance diffuse incite chacun à se conformer aux normes.

Aujourd’hui, avec la révolution numérique, on parle de « société de surveillance » ou de « société de contrôle » (selon l’expression de Gilles Deleuze prolongeant Foucault) pour décrire un état où la surveillance devient omniprésente et continue, grâce aux technologies​

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Nos moindres faits et gestes laissent des traces numériques (transactions par carte, localisation de notre téléphone, historiques web, caméras de vidéosurveillance urbaines, etc.). Ces traces forment des Big Data qui peuvent être analysées. La promesse utopique d’une « société de l’information » fluide et participative s’est en partie muée en ce constat : « le déploiement des technologies numériques assure la géolocalisation, la captation et la capitalisation des traces laissées par les internautes sur le web », contribuant à l’instauration d’une « société de contrôle et de surveillance »​

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Les États disposent maintenant d’outils de surveillance de masse autrefois inimaginables. Les révélations d’Edward Snowden en 2013 ont montré que les agences de renseignement occidentales (la NSA aux États-Unis, le GCHQ en Angleterre, etc.) aspiraient et stockaient des volumes gigantesques de données de communication, souvent sans discrimination, par souci de sécurité nationale. Officiellement, c’est pour détecter des menaces terroristes, mais le potentiel de dérive est là : un gouvernement mal intentionné pourrait utiliser ces informations pour surveiller les opposants politiques, pour instaurer un état policier où chaque individu se sait potentiellement observé. Même sans aller jusque-là, la simple conscience d’être surveillé peut avoir un effet dissuasif sur l’expression libre (on parle d’effet panoptique ou de chilling effect). Par exemple, si je sais que mes recherches internet sont enregistrées, j’hésiterai peut-être à me renseigner sur des sujets controversés.

La surveillance n’est pas que le fait des États. Les entreprises du numérique nous profilent pour la publicité ciblée ; nos objets connectés mesurent nos données de santé ; dans certaines villes on teste la reconnaissance faciale automatisée pour identifier les passants. Tout cela crée un tissu de surveillance diffuse. De plus en plus, on s’auto-surveille aussi : la mode du quantified self (applis et montres qui comptent nos pas, notre rythme cardiaque, etc.) illustre comment la norme du contrôle s’intériorise​

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Foucault parlerait de « l’intériorisation des injonctions au contrôle »​

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Le problème, c’est que la surveillance confère un pouvoir unilatéral à celui qui observe. Il dispose d’informations intimes sur la personne surveillée, pouvant servir à la manipuler, la sanctionner ou la prédire. Dans un monde idéal, on voudrait que ces informations ne soient employées que pour le bien (par ex. anticiper un crime, mieux servir un utilisateur). Mais l’histoire montre que tout outil de surveillance finit tôt ou tard par être utilisé au détriment de certains, en particulier les plus vulnérables ou dissidents.

Il existe bien sûr des législations pour encadrer la surveillance : en Europe, le RGPD (Règlement général sur la protection des données) vise à redonner aux individus le contrôle sur leurs données personnelles face aux entreprises ; des tribunaux ont limité certaines lois de renseignement pour protéger la vie privée. La question de la proportionnalité de la surveillance est au cœur des débats : jusqu’où accepter de sacrifier une partie de la vie privée et de l’anonymat pour des gains en sécurité ou en services personnalisés ?

Certains intellectuels alertent sur le risque d’une dérive vers un technopouvoir orwellien. Par exemple, l’essayiste Shoshana Zuboff parle de « capitalisme de surveillance » pour décrire le modèle économique de compagnies qui vivent de la collecte permanente de nos données. Les citoyens, de leur côté, peuvent recourir à des contre-mesures : chiffrer leurs communications (usage de Signal, de VPN), pratiquer l’hygiène numérique (limiter les données qu’ils donnent volontairement sur eux), militer pour des lois plus strictes. Au niveau collectif, il existe des mouvements pour une informatique plus éthique et respectueuse de la vie privée.

Pourquoi traitons-nous la surveillance dans un dossier sur l’empouvoirement ? Parce que l’information est à double tranchant : celle qui émancipe, c’est l’information dont on dispose pour se guider ; celle qui asservit potentiellement, c’est l’information que d’autres accumulent sur nous. On retrouve la dialectique savoir/pouvoir. Une société équilibrée devrait idéalement maximiser la première (informer les citoyens) et minimiser la seconde (les ficher). Comme l’écrit le sociologue Serge Proulx, il y a eu une promesse au départ d’Internet d’une démocratie de l’information décentralisée, mais « cette promesse se transforme peu à peu en l’instauration d’une société de contrôle et de surveillance »​books.openedition.orgFace à cela, la capacité des individus à résister, par le cryptage, le brouillage, la création de réseaux alternatifs, fait partie de leur empowerment collectif​

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En conclusion de cette partie, on voit que l’information est un enjeu de pouvoir à plusieurs niveaux : pouvoir de faire (grâce à l’information) mais aussi pouvoir de nuire ou de dominer (en contrôlant l’information ou en surveillant autrui). Toute démocratie doit composer avec ce paradoxe et trouver un équilibre entre la libre circulation de l’information (source de pouvoir d’agir) et la protection contre les abus liés à l’information (source de domination). Cet équilibre passe en grande partie par la conscience critique des citoyens et par des garde-fous institutionnels.



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Re: Méga Dossier - L'info c'est le pouvoir

Message par Souad »

5. Réappropriation citoyenne de l’information : pratiques d’éducation populaire et culture critique

Face aux enjeux évoqués (asymétries, manipulations, censures), comment s’assurer que l’information reste un bien commun au service de tous, et non un instrument confisqué par quelques-uns ? C’est ici qu’intervient la notion d’éducation populaire et de réappropriation de l’information par les citoyens. L’éducation populaire se définit comme l’ensemble des démarches éducatives émancipatrices, en dehors du système scolaire traditionnel, visant à transmettre au plus grand nombre les clés de compréhension et d’action sur le monde. Historiquement liée aux mouvements ouvriers, associatifs et d’économie sociale, elle postule que chacun, quel que soit son niveau d’instruction formelle, peut développer un regard critique et des savoirs pour changer la société.

Un aspect central de l’éducation populaire a toujours été l’ appropriation des médias et de l’information. En France, par exemple, « le premier combat de l’éducation populaire fut celui de la presse » : au XIXe siècle, les militants d’éducation populaire se sont battus pour la liberté de la presse (loi de 1881) et ont diffusé les journaux comme outils d’information et de débat auprès du peuple, via des bibliothèques et universités populaires​. Ils voyaient la presse non seulement comme un moyen d’informer, mais aussi comme un lieu de débat et de formation du citoyen​. Ce rôle pionnier s’est poursuivi avec chaque nouveau média : à la fin du XIXe, la Ligue de l’enseignement organisait des projections éducatives avec la lanterne magique ; au XXe siècle, les éducateurs populaires ont créé des ciné-clubs quand le cinéma est apparu, puis des télé-clubs dans les années 1950 quand la télévision en était à ses débuts​. L’idée était toujours de s’emparer du média de masse du moment pour que le public ne soit pas juste consommateur passif, mais acteur critique de ce média – par exemple, les télé-clubs réunissaient des gens pour regarder la télévision ensemble et en discuter, transformant une expérience individuelle en débat collectif. Dans les années 1980 en France, des associations comme Les Pieds dans le PAF (Paysage Audiovisuel Français) sont nées pour observer et critiquer la télévision, refusant une posture simplement hostile mais cherchant à « construire des liens entre les usagers, les médias et le milieu associatif »​.

Ces exemples montrent une tradition d’innovation dans l’usage des médias par l’éducation populaire​. Le principe est : ne pas subir l’information, mais se la réapproprier. Concrètement, quelles sont les pratiques aujourd’hui qui prolongent cet esprit ? On peut en citer plusieurs :
  • Ateliers d’éducation aux médias et à l’information (EMI) : de nombreuses associations proposent des ateliers pour jeunes ou adultes où l’on apprend à analyser un article de presse, repérer une fake news, comprendre les modèles économiques des médias, fabriquer soi-même une information (journal scolaire, web-radio locale, etc.). L’objectif est de former des citoyens créateurs de médias et non juste consommateurs. Au sein de l’Éducation nationale française, le CLEMI (Centre pour l’EMI) travaille aussi en ce sens dans les établissements.
  • Journaux et médias participatifs : la tradition de la presse alternative se poursuit, mais maintenant souvent en ligne. Des sites comme AgoraVox en France proposent du journalisme citoyen où tout un chacun peut publier un article, avec une modération collective. À l’échelle locale, on voit des journaux de quartier, des bulletins associatifs, ou des webzines collaboratifs. Cela permet à des communautés d’avoir leur canal d’information, reflétant leurs préoccupations, et d’acquérir les compétences de production médiatique.
  • Hackerspaces et ateliers numériques : la maîtrise de l’information passe aussi par la compréhension des outils techniques. Des lieux associatifs appelés hackerspaces, fablabs, proposent des initiations à l’informatique, au chiffrement des communications, à la fabrication numérique. Empowerment informationnel signifie aussi savoir protéger ses données, savoir coder un minimum, pour ne pas être démuni face aux technologies qui véhiculent l’info.
  • Bibliothèques et espaces publics numériques : les bibliothèques ont étendu leur mission bien au-delà du prêt de livres. Elles organisent des débats, des rencontres avec des journalistes, des initiations à la recherche documentaire sur internet, etc. Elles deviennent des tiers-lieux d’éducation populaire autour de l’information.
  • Mouvements d’open data et de transparence : on peut également voir un lien avec l’empouvoirement collectif. Des citoyens regroupés en associations (par ex. Open Knowledge Foundation) militent pour que les données publiques soient accessibles à tous (open data), que les résultats de la recherche scientifique financée publiquement soient en libre accès (open access). Cela rejoint l’idée de communs informationnels : l’information doit être un bien partagé. En obtenant l’ouverture de bases de données, ces mouvements donnent aux citoyens la matière brute pour exercer un contrôle (ex : exploiter les données de budgets municipaux pour en faire des visualisations compréhensibles par le public et détecter d’éventuels gaspillages).
  • Approches critiques de l’information dans les mouvements sociaux : les nouveaux mouvements (indignés, Gilets jaunes, Occupy Wall Street…) ont souvent développé leurs propres canaux sur les réseaux sociaux, mais aussi réfléchi au biais des médias dominants. Par exemple, des groupes de Gilets jaunes ont monté des studios de streaming ou des pages Facebook très suivies pour donner leur version des manifestations, face à ce qu’ils percevaient comme une couverture partiale des grands médias. On retrouve là l’esprit d’éducation populaire : développer ensemble une compréhension critique de la société et produire ses propres savoirs et médias​education-populaire.fr​education-populaire.fr.


Plus généralement, l’éducation populaire insiste sur la démarche collective où chacun apprend des autres et construit du savoir par l’action. Comme l’explique un collectif d’éducation populaire, « ce sont des dynamiques collectives qui permettent aux dominé·es de développer ensemble une compréhension critique de la société […] Il s’agit de se donner les moyens de comprendre le monde pour pouvoir le transformer »​education-populaire.fr. Loin de se limiter à transmettre des connaissances toutes faites, l’éduc populaire vise à faire produire aux gens leurs propres connaissances, à partir de leur expérience, qu’ils peuvent ensuite croiser avec des savoirs plus établis​education-populaire.fr. Dans cette optique, l’information extérieure (externe) est un point d’appui, mais elle doit être réappropriée de façon active. On voit ici l’importance, par exemple, des ateliers d’analyse de médias : prendre un reportage télé ou un article, le disséquer en groupe, questionner ses sources, ses non-dits, c’est une façon de domestiquer l’information plutôt que de la consommer passivement.

Historiquement, des institutions d’éducation populaire ont été des passeurs d’information pour les classes populaires : les universités populaires au début du XXe siècle (où des intellectuels venaient faire cours aux ouvriers le soir), les syndicats qui tenaient des bibliothèques et organisaient des formations, les cercles d’études, etc. Aujourd’hui, de nouvelles formes apparaissent, par exemple les Moocs associatifs (cours en ligne ouverts sur des sujets citoyens), les streamers éducatifs sur Twitch qui vulgarisent l’actualité politique à un jeune public, etc. L’outil change mais l’objectif est toujours de démystifier l’information et de la mettre à la portée de ceux qui en sont éloignés.

L’éducation populaire s’intéresse aussi à la question de la gouvernance d’Internet. On voit apparaître des projets alternatifs (par ex. le réseau social Mastodon, open source et décentralisé) portés par des communautés voulant se réapproprier les outils d’information qui étaient monopolisés par les géants commerciaux. Dans ce sens, la « réappropriation de la société de l’information » est un enjeu politique et critique pour les mouvements d’éducation populaire​(journals.openedition.org). Ils interrogent par exemple le rapport de force ​derrière les beaux discours de la « société de l’information » : qui contrôle les infrastructures, qui impose ses normes (les GAFAM souvent) et comment subvertir cela pour revenir à un Internet plus communautaire, plus libre ?​


En définitive, l’éducation populaire fournit des outils d’empouvoirement face à l’information : des compétences (savoir chercher/vérifier), de l’esprit critique, des espaces d’échange horizontaux, et l’encouragement à la production citoyenne d’information. Elle vise à ce que les citoyens ne soient pas de simples récepteurs, mais des acteurs culturels capables de produire du sens eux-mêmes et de participer pleinement au débat démocratique. Comme le résume la formule souvent attribuée à Confucius mais chère à l’éducation populaire : « Lorsque tu entends, tu oublies ; lorsque tu vois, tu te souviens ; lorsque tu fais, tu comprends. » – appliquer cela à l’information, c’est inciter chacun à faire avec l’information (enquêter, écrire, débattre) pour réellement se l’approprier.

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FIN: Méga Dossier - L'info c'est le pouvoir

Message par Souad »

6. Information et transformation sociale : perspectives historiques et contemporaines

Pour clôturer ce dossier, illustrons par quelques exemples marquants comment l’information a agi comme un véritable levier de transformation sociale au fil du temps, en insistant sur le contexte des sociétés occidentales.

6.1 La révolution de l’imprimerie et la diffusion du savoir (XVe–XVIIIe siècles)

L’invention de la presse à imprimer par Johannes Gutenberg vers 1450 en Europe est souvent citée comme l’un des événements ayant eu le plus d’impact sur la structure de la société occidentale​​en.wikipedia.org. En permettant la reproduction en masse des textes, l’imprimerie a inauguré l’ère de la communication de masse : « la diffusion relativement non restreinte des informations et des idées (révolutionnaires) a transcendé les frontières, galvanisé les masses lors de la Réforme, et menacé le pouvoir des autorités politiques et religieuses »​(en.wikipedia.org). Avant l’imprimerie, les livres copiés à la main étaient rares et chers, réservés aux élites lettrées (clergé, noblesse). Après, le nombre de livres explose : on estime qu’à l’an 1500, les presses de l’Europe avaient déjà produit plus de 20 millions de volumes​en.wikipedia.org. Cette diffusion a provoqué :
  • Une augmentation de l’alphabétisation : de plus en plus de personnes ont appris à lire, notamment dans la bourgeoisie urbaine, ce qui « a brisé le monopole de l’élite lettrée sur le savoir et renforcé la classe moyenne émergente »​ (en.wikipedia.org).
  • La circulation des idées de la Renaissance et des Lumières : les œuvres des humanistes, puis des philosophes des Lumières, se sont répandues dans toute l’Europe, alimentant un esprit critique vis-à-vis des dogmes établis et une soif de connaissances nouvelles. Voltaire, Rousseau, Diderot ont largement bénéficié de l’imprimé pour diffuser leurs écrits – parfois clandestinement d’ailleurs, car la censure royale tentait de freiner cette vague.
  • La Réforme protestante : Luther a pu diffuser ses 95 thèses et de nombreux pamphlets grâce à l’imprimerie, ce qui a permis à la Réforme de gagner des millions d’adeptes en peu de temps. Sans les livrets imprimés en langue vernaculaire, la contestation de l’Église catholique ne se serait sans doute pas propagée aussi vite. Le pouvoir de l’Église, fondé en partie sur le contrôle de la Bible (en latin, peu accessible au peuple), a vacillé quand les traductions et commentaires se sont répandus. C’est un exemple typique d’information libératrice pour un groupe (ici les fidèles qui peuvent lire la Bible directement) qui se heurte à une autorité en place.
  • L’émergence de l’espace public bourgeois : Habermas a décrit comment, aux XVIIe–XVIIIe siècles, des cafés en Angleterre ou des salons en France sont devenus des lieux où circulaient des journaux, des pamphlets, et où la bourgeoisie débattait d’idées politiques, formant une opinion publique naissante. Cette sphère publique critique a été le creuset de pensées révolutionnaires. En France, à la veille de 1789, la fièvre des pamphlets est telle que plus de 30 000 pamphlets différents circulent entre 1788 et 1789, sans compter les innombrables journaux révolutionnaires​ (histoirebnf.hypotheses.org). C’est dire l’effervescence informationnelle qui a accompagné la Révolution française.


En résumé, la démocratisation de l’information écrite via l’imprimerie a bousculé l’ordre social : en diffusant le savoir scientifique (qui contredit parfois les doctrines officielles), en facilitant la critique politique, en éduquant une population plus large, elle a sapé les fondements du pouvoir traditionnel (clergé, monarchie) et ouvert la voie aux révolutions intellectuelles et politiques de la modernité.

6.2 Presse, opinion publique et réformes sociales (XIXe–début XXe siècles)

Au XIXe siècle, avec l’alphabétisation grandissante et la liberté de la presse progressivement acquise dans plusieurs pays occidentaux, la presse écrite devient un acteur majeur de la vie publique. On appelle souvent cette époque l’« âge d’or de la presse » (fin XIXe – début XXe) en Occident. Les journaux à grand tirage informent et mobilisent l’opinion :
  • En France, après 1881, on voit fleurir des journaux d’opinion très divers (républicains, socialistes, anarchistes, catholiques, etc.). Ils contribuent à structurer la vie politique démocratique, à relayer les idées de réforme. Par exemple, l’affaire Dreyfus (1898) a vu l’opinion se diviser entre « dreyfusards » et « antidreyfusards » essentiellement via les journaux ; l’engagement d’Émile Zola (« J’accuse…! » publié dans L’Aurore) a été un tournant qui a poussé à la révision du procès Dreyfus. C’est un cas où l’indignation médiatique a mené à une réparation d’injustice.
  • Aux États-Unis, les muckrakers (littéralement « gratteurs de boue ») étaient des journalistes d’investigation du début XXe qui ont révélé au grand public les abus des grandes entreprises et de la corruption politique. Leurs articles-chocs (dans McClure’s Magazine par exemple) sur les conditions de travail horribles, sur les pratiques des monopoles industriels, ont soulevé l’opinion et conduit à des réformes progressistes (lois antitrust, réglementation sanitaire, etc.). On voit ici l’information comme contrepouvoir : le journaliste révèle ce que le puissant cache, le peuple réagit, et la loi change.
  • La presse ouvrière et syndicale a accompagné les luttes sociales : des journaux comme L’Humanité (fondé par Jaurès en 1904, socialiste) ou The Liberator aux USA (socialiste également) ont diffusé les idées socialistes, poussé aux grèves pour de meilleures conditions de travail. Au Royaume-Uni, le Daily Herald (journal lié au Labour) a contribué à faire connaître les revendications ouvrières dans l’entre-deux-guerres. Ainsi l’information a servi de vecteur de conscience de classe et de coordination du mouvement ouvrier à l’échelle nationale.
  • L’accès à l’information a aussi été un enjeu pour les mouvements féministes de la première vague : des journaux tenus par des femmes, pour des femmes (comme La Fronde en France, fondé par Marguerite Durand en 1897, entièrement rédigé et imprimé par des femmes) ont permis de porter la voix des suffragettes et de convaincre l’opinion de la légitimité du droit de vote féminin. Ces publications ont joué un rôle non négligeable dans l’évolution des mentalités menant aux premières victoires du droit de vote (Nouvelle-Zélande 1893, puis après la Grande Guerre dans plusieurs pays occidentaux).


On voit donc qu’au XIXe et début XXe, l’information par la presse a été un levier de réforme dans de nombreux domaines (justice, économie, droits sociaux, droits politiques). L’expression « quatrième pouvoir » pour la presse vient de cette capacité à peser sur les affaires publiques. Cela s’est accompagné d’innovations techniques (rotatives à vapeur, télégraphe, etc. permettant des journaux moins chers, plus rapides) et d’innovations organisationnelles (agences de presse, correspondants internationaux, etc.) qui ont rendu l’information plus abondante et plus immédiate, rapprochant un peu plus la société d’une forme d’espace public globalisé.

6.3 Radio, télévision : information et conscience collective (milieu XXe siècle)

L’apparition des médias audiovisuels a de nouveau transformé le paysage informationnel. La radio, dès les années 1920-1930, a apporté l’information dans les foyers de manière instantanée et vivante. Elle a soudé des communautés d’auditeurs à l’échelle nationale. Par exemple, pendant la Seconde Guerre mondiale, les émissions de la BBC (notamment Radio Londres) ont été cruciales pour entretenir l’espoir et la résistance dans les pays occupés ; l’appel du 18 juin 1940 du général de Gaulle, entendu par quelques-uns sur le moment mais rediffusé et commenté ensuite, est devenu un symbole de ralliement pour la France libre. Ici, l’information radiophonique a contrecarré la propagande de Vichy et joué un rôle dans la résistance.

Dans l’après-guerre, la télévision a pris le relais en tant que média de masse dominant. Elle a été un puissant vecteur de culture commune et d’émotions collectives. Des images télévisées ont parfois changé le cours de l’histoire ou accéléré des prises de conscience :
  • En 1963, l’assassinat de John F. Kennedy est diffusé à la télévision (pas en direct, mais très rapidement) et plonge le monde dans la stupeur : c’est l’un des premiers événements planétaires dont l’émotion est partagée quasi en temps réel via l’image, créant une sorte de village global (concept de McLuhan).
  • Dans les années 1960 toujours, les journaux télévisés américains montrent la réalité de la guerre du Vietnam (les soldats morts, l’usage du napalm) et alimentent l’essor du mouvement pacifiste. L’opinion publique, choquée par ces images, met la pression sur les gouvernements. Cette « guerre télévisée » a été un tournant où l’information a limité la capacité des autorités à mener un conflit impopulaire.
  • En 1989, la diffusion mondiale des images de la chute du Mur de Berlin incarne le basculement d’une ère. On a là un événement où l’information se confond avec l’événement lui-même – les Allemands de l’Est qui voient à la télévision leurs compatriotes franchir le Mur sont encouragés à faire de même, bouclant un cercle vertueux d’action et d’information.


Cependant, la radio et surtout la télévision ont aussi été instrumentalisées par des pouvoirs moins démocratiques. La propagande totalitaire a trouvé avec la radio un moyen de s’insinuer dans chaque foyer (les régimes fasciste et nazi l’utilisaient intensivement). La télévision, dans les dictatures, est souvent un organe de propagande aux ordres. Même en démocratie, la télévision centralisée a pu donner lieu à des dérives, comme la manipulation de l’opinion par des présentations biaisées. Néanmoins, l’essor du pluralisme médiatique (chaînes privées, chaînes internationales) et le développement d’une éthique journalistique (chartes de déontologie) ont cherché à faire de l’information audiovisuelle un vrai outil d’éveil collectif plutôt que de contrôle.

Un événement marquant du pouvoir de l’information télévisée a été l’affaire du Watergate (1974) : grâce aux révélations de journalistes (par écrit dans Washington Post, mais l’affaire était abondamment couverte à la télé), l’opinion américaine a pris conscience des abus de l’administration Nixon et cela a conduit à la démission du président. Cette affaire symbolise la presse comme contre-pouvoir, mais aussi l’attention du public captée par les médias qui a rendu l’indignation massive.

6.4 Internet et réseaux sociaux : nouvelles transformations (XXIe siècle)

Enfin, évoquons brièvement l’époque actuelle, déjà entraperçue dans les sections précédentes. L’Internet et plus récemment les réseaux sociaux ont démultiplié la circulation de l’information, pour le meilleur et pour le pire, comme on l’a vu. Du côté transformations positives :
  • Internet a permis la dissémination du savoir à une échelle jamais vue. Wikipedia en est un exemple, tout comme les innombrables cours en ligne, forums d’entraide (ou chacun peut apprendre presque n’importe quoi, du codage à la cuisine, grâce à des communautés). Cette démocratisation de l’accès au savoir technique ou scientifique a potentiellement un effet émancipateur énorme (un étudiant motivé peut suivre les cours du MIT en ligne gratuitement, par exemple).
  • Les réseaux sociaux ont accéléré la mobilisation citoyenne spontanée. Des mouvements récents comme #MeToo (2017) se sont propagés d’un pays à l’autre à travers un mot-dièse sur Twitter, libérant la parole de millions de femmes sur les violences sexuelles et aboutissant à des changements dans la société (prise de conscience générale, chutes de personnalités puissantes accusées, renforcement de lois). Ici on voit comment une information intime partagée massivement (des témoignages individuels devenant un récit collectif) a transformé les normes sociales en profondeur.
  • Le phénomène des printemps arabes, déjà mentionné, a inspiré ensuite le mouvement des Indignés en Espagne (2011), puis Occupy Wall Street aux USA (2011) : ces mouvements se sont appuyés fortement sur Internet pour s’organiser et se faire connaître. Occupy par exemple a usé de la diffusion vidéo en direct (streaming) depuis les assemblées générales de Zuccotti Park à New York, contournant les médias traditionnels au départ. Cela préfigure l’utilisation actuelle des live Facebook ou Twitch pour médiatiser en direct des actions militantes.
  • Le partage de documents et fuites sur Internet a obligé les États et firmes à plus de transparence. L’exemple de WikiLeaks est notoire : en publiant en 2010 des centaines de milliers de câbles diplomatiques et de documents classés (sur les guerres d’Irak et d’Afghanistan notamment), la plateforme de Julian Assange a révélé au monde des informations sensibles (par exemple des bavures militaires non divulguées, ou des pressions politiques occultes). Ces révélations ont alimenté les débats publics sur la politique étrangère, la surveillance (cf. aussi Snowden), etc., et ont poussé à quelques réformes ou au moins excuses officielles. On parle d’ère de la transparence radicale, où il devient de plus en plus difficile aux élites de garder le contrôle absolu de l’information – un simple lanceur d’alerte avec une clé USB peut potentiellement provoquer un scandale planétaire. Ce contre-pouvoir change la donne et incite les institutions à mieux se comporter par crainte de fuites (même s’il y a aussi la tentation de renforcer le secret et de pourchasser les whistleblowers).


Du côté plus sombre, on l’a vu, Internet a aussi facilité la diffusion de la désinformation et la surveillance. Mais même ces défis suscitent des contre-mobilisations collectives : par exemple, face aux fake news, des armées de citoyens volontaires se mobilisent en ligne pour les réfuter ; face à la censure, des hackers créent des outils de contournement (réseaux chiffrés type Tor) pour que l’information circule quand même (pensons aux blogueurs iraniens ou chinois qui rivalisent d’astuces pour exprimer leurs opinions malgré la censure).

Il est trop tôt pour tirer un bilan définitif de la révolution numérique sur l’empouvoirement. Ce qui est clair, c’est que jamais l’information n’a été aussi abondante et accessible à un si grand nombre – ce qui est en soi une fantastique opportunité d’empouvoirement individuel et collectif. La contrepartie est la nécessité d’apprendre à nager dans ce flot sans se noyer ou se laisser emporter par de mauvais courants. D’où, encore une fois, l’importance cruciale de l’éducation populaire à l’ère numérique : apprendre à chacun à être son propre média (critiquer, sélectionner, diffuser de l’information), pour profiter des vertus d’Internet sans en subir les vices. Comme le soulignent certains auteurs, nous sommes entrés dans une nouvelle transformation de la sphère publique avec le « public connecté » du XXIe siècle : la démocratie peut en être revigorée si l’information est utilisée pour engager les citoyens (consultations en ligne, pétitions numériques, civic tech), ou affaiblie si l’information devient trop chaotique ou manipulée.

Conclusion

L’information est au cœur de la dynamique du pouvoir dans nos sociétés. En elle se nouent les potentialités d’émancipation et les risques de domination. Comme nous l’avons parcouru, l’information – entendue comme donnée signifiante accessible à l’esprit humain – donne aux individus la capacité de comprendre leur monde, de faire des choix et d’agir, tant sur le plan personnel que collectif. À l’échelle individuelle, être informé c’est être armé pour naviguer dans l’existence, tandis qu’être tenu dans l’ignorance, c’est rester à la merci d’autrui. À l’échelle collective, partager l’information c’est se doter d’une conscience commune et d’une coordination sans lesquelles aucune transformation sociale n’est possible.

De la bibliothèque d’Alexandrie à l’encyclopédie universelle d’Internet, de la place publique athénienne aux réseaux sociaux planétaires, la quête d’information et sa diffusion ont toujours été liées aux progrès de la liberté et du savoir. Mais en parallèle, chaque pouvoir a cherché à canaliser ou confisquer ce flux pour asseoir son autorité – brûlant les livres subversifs, bâillonnant les dissidents, ou aujourd’hui exploitant le big data et l’IA pour influencer les comportements. L’histoire occidentale peut se lire en partie comme une lutte pour la démocratisation de l’information : invention de l’imprimerie, alphabétisation de masse, liberté de la presse, explosion d’Internet, toutes ces étapes ont bousculé l’ordre établi en redistribuant les cartes du savoir.

Dans nos sociétés modernes, l’information est plus que jamais un bien commun vital. Le défi est de le préserver et de l’enrichir : cela implique de garantir l’accès de tous à une information de qualité (par l’éducation, la lutte contre la fracture numérique, la promotion d’un journalisme indépendant), de se doter de défenses collectives contre les abus (réguler les concentrations médiatiques, encadrer l’usage des données personnelles, développer l’esprit critique face aux fake news), et de multiplier les espaces de débat où l’information brute se transforme en intelligence collective (forums citoyens, consultations, initiatives participatives).

L’empouvoirement – individuel comme collectif – est un processus continu. Il ne suffit pas de donner l’information, il faut aussi apprendre à s’en saisir. C’est là tout le projet de l’éducation populaire et, plus largement, de la citoyenneté active. Une population informée, critique et partageuse de savoirs est une population plus apte à faire valoir ses droits, à innover socialement, à résister aux oppressions.

En guise d’image finale, on pourrait dire que l’information est à la société ce que la circulation sanguine est au corps humain : elle transporte l’oxygène des idées et des faits à travers le corps social. Si elle est libre et saine, le corps social est vigoureux ; si elle est obstruée ou viciée, le corps s’affaiblit. À nous, collectivement, de veiller à la bonne santé informationnelle de nos démocraties, afin que chaque citoyen et chaque communauté puissent respirer pleinement et agir.



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