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Re: 🛠 « La citoyenneté, c’est le brol »

Publié : mer. juin 18, 2025 1:26 pm
par Souad
1.2 Moyen Âge : le sujet du roi, disparition du citoyen

Avec la chute de l’Empire romain et l’effondrement des institutions civiques antiques, la notion de citoyenneté disparaît quasiment de l’horizon politique européen pendant plusieurs siècles. Elle est remplacée par un autre type de lien : la sujétion personnelle au seigneur ou au roi.

🟦 Du citoyen au sujet
Durant le haut Moyen Âge, la société est structurée en ordres et en dépendances :
  • Le lien politique principal est vertical : le roi ou le seigneur protège en échange de l’obéissance et des services.
  • L’individu n’a pas de droits politiques en tant que tel : il est un sujet, non un citoyen.
  • Les lois sont souvent coutumières, variables selon les fiefs ou les provinces.
Aucun corps civique unifié n’existe. Les villes jouissent parfois de franchises ou de chartes, mais il ne s’agit pas encore de citoyenneté politique : on parle plutôt de bourgeoisie urbaine (le « bourgeois » étant l’habitant du bourg doté de certains privilèges économiques ou juridiques).

🟦 Citoyenneté municipale : une exception dans certaines villes
Certaines villes du bas Moyen Âge (notamment en Italie du Nord, dans les Flandres ou en Allemagne) développent des formes de citoyenneté municipale, accordant :
  • le droit de vote aux élections locales (souvent par cooptation),
  • la possibilité de posséder un atelier, un commerce ou de siéger dans les corporations,
  • des protections spécifiques en matière de justice.
Mais ce statut reste réservé à une minorité d’habitants. Il ne remet pas en cause la domination féodale globale. Il s’agit d’un îlot d’autonomie dans un océan d’inégalités de naissance.

🟦 Le rôle de l’Église et de la religion
L’ordre politique médiéval est aussi profondément sacralisé :
  • Le roi est choisi par Dieu (droit divin).
  • Le devoir d’obéissance prime sur la participation.
  • La notion de "communauté des fidèles" supplante celle de "communauté civique".
La citoyenneté comme lien actif à une collectivité politique est donc marginalisée. C’est une période de désinstitutionnalisation du citoyen au profit d’un ordre social fondé sur la foi, la hiérarchie et l’héritage.

🔎 Ce qu’il faut retenir
  • Le Moyen Âge fait disparaître la citoyenneté antique comme forme active d’appartenance.
  • L’individu devient sujet passif d’un roi ou d’un seigneur.
  • La citoyenneté se réduit à des statuts locaux, urbains ou corporatistes.
  • Le politique est subordonné au religieux et à l’ordre divin.
➡️ Partie suivante : 1.3 Révolutions modernes : citoyenneté juridique universelle

Re: 🛠 « La citoyenneté, c’est le brol »

Publié : mer. juin 18, 2025 1:26 pm
par Souad
1.3 Révolutions modernes : citoyenneté juridique universelle

La fin de l’Ancien Régime et l’avènement des révolutions modernes (XVIIIe siècle) marquent le retour fracassant de la citoyenneté sur la scène politique européenne. Cette fois, il ne s’agit plus d’un privilège, mais d’un droit naturel et universel, censé s’appliquer à tous les hommes (dans les textes du moins).

🟦 1789 : la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen
Adoptée en France, cette déclaration affirme :
  • que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » ;
  • que la souveraineté réside dans la nation ;
  • que tout citoyen a le droit de participer à la formation de la loi (directement ou par ses représentants).
C’est une rupture totale avec l’ordre féodal : l’autorité ne vient plus de Dieu ou du roi, mais de la volonté collective des citoyens.

🟦 La citoyenneté devient un statut juridique abstrait
Les constitutions révolutionnaires (1791, 1793, 1795) définissent les critères pour être citoyen :
  • naissance en France,
  • résidence stable,
  • âge minimum,
  • paiement d’un impôt (dans certaines versions).
Ces critères sont encore exclusifs (les femmes, les esclaves des colonies, les pauvres sont souvent écartés), mais l’idéal proclamé est celui d’une citoyenneté d’adhésion et d’égalité en droit.

🟦 L’émergence de l’État-nation
Avec la Révolution française puis les guerres napoléoniennes, la citoyenneté devient :
  • un instrument d’unification politique (fin des privilèges locaux),
  • un marqueur d’appartenance à la Nation,
  • et un devoir civique (conscription militaire, impôts, participation électorale).
L’État moderne naissant administre, recense, conscrit, fiscalise. Le citoyen est à la fois titulaire de droits et porteur d’obligations nouvelles.

🟦 L’universalisme inachevé
Malgré les proclamations égalitaires, des exclusions subsistent :
  • les femmes restent sans droits politiques jusqu’au XXe siècle,
  • les colonisés sont sujets mais non citoyens,
  • la propriété reste souvent un critère implicite de participation politique.

Re: 🛠 « La citoyenneté, c’est le brol »

Publié : mer. juin 18, 2025 1:28 pm
par Souad
1.4 XIXe–XXe siècles : nationalité et administration de masse

Au fil du XIXe et du XXe siècle, la citoyenneté prend une nouvelle dimension : elle devient indissociable de l’appartenance nationale et s’inscrit dans les rouages d’un État bureaucratique en pleine expansion.

🟦 De la citoyenneté à la nationalité
Le terme "citoyen" se confond progressivement avec celui de "national" :
  • La nationalité devient le critère principal d’accès aux droits politiques et sociaux ;
  • Les États codifient les conditions d’acquisition, de perte et de transmission de la nationalité (droit du sang, droit du sol) ;
  • Le citoyen n’est plus seulement un acteur politique, mais un objet juridique et administratif.
Exemple : Le Code civil napoléonien (1804) établit la filiation paternelle comme critère de nationalité. Jusqu’en 1927, une femme française qui épouse un étranger perd automatiquement sa nationalité.

🟦 La montée de l’État administratif
L’État moderne développe des outils pour gérer ses citoyens à grande échelle :
  • création de l’état civil (naissances, mariages, décès),
  • recensements systématiques,
  • cartes d’identité, passeports, livrets militaires,
  • numéros d’identification uniques (ex. : Registre national en Belgique).
Le citoyen est défini, localisé, fiché. Sa vie devient traçable par des documents. On passe d’une citoyenneté active à une citoyenneté documentée.

🟦 De nouveaux droits sociaux… et de nouvelles obligations
Le XIXe siècle marque aussi l’émergence du citoyen social :
  • droit à l’instruction obligatoire,
  • accès progressif aux assurances sociales,
  • droit syndical et droit de grève,
  • citoyenneté électorale élargie (par étapes).
Mais en échange, les États imposent de nouvelles obligations civiques :
  • conscription militaire (service obligatoire),
  • impôts de plus en plus généralisés,
  • obligations administratives (signalement, déclaration, renouvellements).
🟦 L’âge d’or de la citoyenneté “à papiers”
Entre 1850 et 1950, la citoyenneté devient :
  • une machine juridique complexe (lois sur la nationalité, naturalisation),
  • un objet d’intégration ou d’exclusion massive (immigration, colonisation, décolonisation),
  • une preuve d’identité totale, requise pour quasiment toute démarche.
Chaque État construit son propre système de titres, de statuts, de conditions. La citoyenneté devient un droit conditionnel, adossé à une capacité bureaucratique.

🔎 Ce qu’il faut retenir
  • Le citoyen devient un administré : enregistré, régulé, imposé.
  • La citoyenneté se confond avec la nationalité légale.
  • L’État moderne fabrique une citoyenneté documentée et codifiée.
  • Le “brol” commence ici : couches de règles, de papiers, de procédures.
➡️ Partie suivante : 1.5 Citoyenneté contemporaine : superpositions et tensions

Re: 🛠 « La citoyenneté, c’est le brol »

Publié : mer. juin 18, 2025 1:28 pm
par Souad
1.5 Citoyenneté contemporaine : superpositions et tensions

Aujourd’hui, la citoyenneté ne se résume plus à un statut national unique. Elle est devenue fragmentée, empilée, conditionnée, à la fois juridique, sociale, numérique et parfois même territoriale.

🟦 Superpositions d’appartenances
Le citoyen moderne peut :
  • être citoyen d’un État (ex. : belge),
  • mais aussi citoyen de l’Union européenne (depuis le traité de Maastricht, 1992),
  • avoir une ou plusieurs nationalités (double citoyenneté),
  • résider dans un pays sans en avoir la nationalité (résident non-citoyen),
  • ou être apatride (sans aucune citoyenneté reconnue).
Ces situations créent une citoyenneté à géométrie variable, parfois floue, parfois conflictuelle.

🟦 Droit de vote, droit au séjour, droit à l’aide… qui en décide ?
La citoyenneté est aujourd’hui décomposée en droits spécifiques :
  • le droit de vote municipal peut être accordé à des non-nationaux (UE),
  • le droit de travailler, de circuler, ou d’obtenir une aide dépend de nombreux critères (résidence, durée, statut…),
  • le droit à la nationalité n’est pas automatique, même pour les enfants nés dans le pays.
Le citoyen est devenu un statut modulable, soumis à de multiples conditions d'accès et de maintien.

🟦 Une citoyenneté numérique (et conditionnelle)
Avec l’administration électronique :
  • la citoyenneté passe par une identité numérique (eID, identifiants, signatures électroniques),
  • les services publics deviennent numéro-centrés (n° national, codes PIN),
  • l’accès aux droits dépend parfois de la capacité à utiliser les outils numériques.
Cela engendre un nouveau seuil d’exclusion : les “non connectés”, les analphabètes numériques, les mal-informés.

🟦 Fractures civiques et défi démocratique
Dans ce contexte :
  • des millions de personnes vivent sur un territoire sans en être citoyen·ne·s (et donc sans voix politique),
  • les citoyens de papier peuvent être privés de droits effectifs (non-recours, barrières d’accès),
  • les États multiplient les statuts précaires : sans-papiers, titulaires de cartes temporaires, naturalisés sous conditions.
La citoyenneté devient une construction instable et inégalitaire, loin de l’universalisme proclamé.

🔎 Ce qu’il faut retenir
  • La citoyenneté contemporaine est complexe et stratifiée.
  • Elle combine nationalité, résidence, usage numérique et conditions d’accès.
  • Elle peut être subie ou refusée, partielle ou multiple, active ou bloquée.
  • Ce mille-feuille crée des zones de flou, de friction et de frustration.
➡️ Partie suivante : 2.1 Multiplication des papiers et attestations (Le brol administratif en Belgique)

Re: 🛠 « La citoyenneté, c’est le brol »

Publié : mer. juin 18, 2025 1:28 pm
par Souad
2.1 Multiplication des papiers et attestations

En Belgique, la citoyenneté est étroitement liée à la possession et à la gestion d’un nombre impressionnant de documents officiels. La promesse d’un service public efficace cohabite avec une culture profondément enracinée du justificatif.

🟦 Une société du document
Pour prouver son identité, sa résidence, sa filiation ou sa situation familiale, un citoyen belge doit souvent fournir :
  • un extrait d’acte de naissance ;
  • un certificat de résidence avec historique d’adresses ;
  • une composition de ménage ;
  • un certificat de nationalité belge ;
  • une preuve d’inscription au registre national ;
  • une attestation de bonne vie et mœurs ;
  • etc.
Bien que ces données soient souvent déjà disponibles dans des bases administratives, on demande encore au citoyen de les fournir lui-même.

🟦 Une logique de la redondance
Cette situation crée des chaînes de demandes absurdes, par exemple :
  • demander à la commune un certificat,
  • pour le déposer auprès d’une autre administration,
  • qui pourrait pourtant y accéder directement.
Le principe du “once only” (ne donner une info qu’une seule fois) est inscrit dans les intentions politiques, mais son application reste incomplète.

🟦 La carte d’identité électronique (eID)… et pourtant
Depuis 2002, la Belgique a généralisé la carte d’identité électronique :
  • elle contient les données personnelles essentielles,
  • elle permet des démarches en ligne (via un lecteur ou smartphone),
  • elle est censée réduire le besoin de justificatifs papier.
Et pourtant… de nombreuses démarches continuent d’exiger des attestations imprimées, souvent avec un tampon daté et signé.

🟦 Une logique du “preuve par papier”
Certaines institutions belges ne reconnaissent pas les documents numériques :
  • les CPAS, les justices de paix, ou certaines administrations communales exigent encore des copies papier,
  • les documents doivent être récents (moins de 3 mois),
  • les e-mails ne remplacent pas les certificats originaux.
Cela génère une forme de liturgie bureaucratique : même si tout est déjà connu, on recommence à zéro. À chaque étape, le citoyen doit se “refaire prouver”.

🔎 Ce qu’il faut retenir
  • La citoyenneté belge reste fortement documentalisée.
  • L’accès aux droits passe par une collection d’attestations.
  • La logique “eID = simplification” est limitée par l’inertie institutionnelle.
  • Le brol administratif, ce sont ces preuves redondantes dans un système interconnecté mais cloisonné.
➡️ Partie suivante : 2.2 Délai, lenteur et absurdités bureaucratiques

Re: 🛠 « La citoyenneté, c’est le brol »

Publié : mer. juin 18, 2025 1:40 pm
par Souad
2.2 Délai, lenteur et absurdités bureaucratiques

L’expérience administrative du citoyen belge est fréquemment marquée par une lenteur systémique, des allers-retours incompréhensibles et des procédures dont l’absurdité frôle parfois le comique tragique.

🟦 Des délais déconnectés des besoins réels
Certains documents ou démarches essentielles peuvent prendre :
  • plusieurs semaines pour une composition de ménage à jour ;
  • jusqu’à plusieurs mois pour une régularisation de séjour ;
  • des dizaines de jours ouvrables pour un simple duplicata de carte d’identité.
Les situations d’urgence ou les enjeux de vie concrète (emploi, santé, logement) sont mal pris en compte par les calendriers des administrations.

🟦 Exemples de brol bureaucratique vécu
Exemple 1 : un citoyen belge résidant à l’étranger doit échanger son permis belge contre un permis local. Résultat :
  • il doit prouver sa citoyenneté et son droit de conduire ;
  • attendre jusqu’à 12 mois pour un traitement ;
  • risquer la perte de son emploi pendant l’attente.
Exemple 2 : pour accéder à un CPAS, une personne sans domicile fixe doit prouver… qu’elle réside quelque part.

🟦 Des injonctions paradoxales
Le citoyen est parfois piégé dans des situations circulaires absurdes :
  • Pour obtenir une aide, il faut un numéro national. Pour avoir un numéro national, il faut un domicile. Pour avoir un domicile, il faut… une aide.
  • Des documents sont exigés "de moins de 3 mois" alors qu’ils ne changent pas dans le temps (composition de ménage, par ex.).
  • Des administrations communales refusent des documents émis par d’autres entités belges faute de signature “locale”.
🟦 Le coût caché de la lenteur
Outre le stress, la lenteur entraîne :
  • des pertes d’emploi ou de logement ;
  • des pénalités de retard (assurances, amendes, perte de droits) ;
  • un effet de découragement généralisé.
Beaucoup finissent par renoncer à des droits faute de temps, d’énergie ou de compréhension.

🔎 Ce qu’il faut retenir
  • La lenteur administrative belge est structurelle, pas anecdotique.
  • Elle produit des injustices concrètes pour les plus fragiles.
  • Elle repose souvent sur une culture de la vérification au détriment de la confiance.
  • Le brol, ici, c’est le temps perdu, sans contrepartie utile.
➡️ Partie suivante : 2.3 Le mille-feuille institutionnel belge

Re: 🛠 « La citoyenneté, c’est le brol »

Publié : mer. juin 18, 2025 1:42 pm
par Souad
2.3 Le mille-feuille institutionnel belge

L’un des aspects les plus emblématiques du “brol” citoyen en Belgique est sans doute son architecture institutionnelle complexe. Résultat de décennies de compromis communautaires, le pays fonctionne comme un empilement de niveaux de pouvoir qui rend la vie administrative opaque, parfois kafkaïenne.

🟦 Une superposition de structures politiques
Le citoyen belge interagit avec :
  • le niveau fédéral (SPF, ONSS, Justice, Défense...) ;
  • les Régions (Wallonie, Bruxelles-Capitale, Flandre) : compétences économiques, emploi, logement... ;
  • les Communautés (française, flamande, germanophone) : compétences culturelles, enseignement, santé... ;
  • les provinces (encore présentes, mais aux fonctions réduites) ;
  • les communes (qui gèrent l’état civil, la population, le CPAS, la police locale...).
Chaque niveau possède ses propres ministres, administrations, règlements, parfois pour des domaines proches ou qui se chevauchent.

🟦 Des guichets multiples, des réponses divergentes
Ce morcellement produit :
  • des formulaires différents selon la région pour une même demande (ex. : aide à la formation) ;
  • des compétences floues (qui est responsable du suivi d’un sans-abri à Bruxelles ? De l’accueil des primo-arrivants ?) ;
  • des bases de données non harmonisées, obligeant le citoyen à répéter les mêmes démarches dans plusieurs administrations.
🟦 Une démocratie de compromis, pas de lisibilité
Ce système découle d’une logique de pacification communautaire, mais du point de vue du citoyen :
  • les responsabilités sont difficiles à identifier ;
  • le suivi des dossiers est ralenti par les transitions d’échelon ;
  • les réformes sont lentes car toujours sujettes à négociation intergouvernementale.
Exemple : la question du vote électronique, ou celle des permis de conduire, évolue différemment en Flandre, Bruxelles ou Wallonie.

🟦 Quand l’institution devient l’obstacle
Dans certains cas, c’est l’architecture elle-même qui produit l’exclusion :
  • un citoyen peut être “perdu” entre deux niveaux (ex. : un dossier transféré d’un CPAS communal vers une régie régionale, sans coordination) ;
  • l’accès à certains droits dépend du lieu de résidence (logement social, transport, emploi) ;
  • des politiques sociales diffèrent pour des citoyens de même nationalité selon la Région.
La citoyenneté devient alors une expérience territorialisée et fragmentée.

🔎 Ce qu’il faut retenir
  • Le citoyen belge évolue dans un labyrinthe institutionnel à cinq étages.
  • Les compétences imbriquées rendent la responsabilité politique illisible.
  • Les démarches sont souvent redondantes ou incompatibles d’un niveau à l’autre.
  • Le brol, ici, c’est le chaos organisé de la gouvernance à la belge.
➡️ Partie suivante : 2.4 Les exclus du système : précaires, sans-papiers, mal connectés

Re: 🛠 « La citoyenneté, c’est le brol »

Publié : mer. juin 18, 2025 1:42 pm
par Souad
2.4 Les exclus du système : précaires, sans-papiers, mal connectés

Derrière la façade égalitaire de la citoyenneté, des milliers de personnes vivent en marge du système administratif. Leur quotidien révèle un aspect souvent invisible du brol : celui de l’exclusion par la complexité.

🟦 Quand la complexité devient une barrière
Les personnes précaires font face à :
  • des démarches incompréhensibles ou uniquement en ligne ;
  • l’impossibilité de fournir les documents demandés (domicile, identité, revenus) ;
  • la peur de l’administration, perçue comme hostile ou punitive.
Résultat : non-recours aux droits, erreurs de dossiers, pertes d’aides, expulsion silencieuse de la citoyenneté effective.

🟦 Le paradoxe du "sans-papier"
Certaines personnes vivant en Belgique depuis des années n’ont pas :
  • de numéro national ;
  • d’adresse légale ;
  • d’accès aux soins ordinaires, ni au travail déclaré ;
  • de possibilité de recours ou de régularisation simple.
Elles sont présentes mais administrativement invisibles, coincées dans des limbes juridiques.

🟦 Le handicap numérique
Avec la dématérialisation croissante :
  • des personnes âgées, peu lettrées ou en situation de handicap numérique sont exclues des guichets numériques ;
  • des démarches essentielles (demande de chômage, impôts, mutuelle) sont désormais "by default" en ligne ;
  • les guichets physiques ferment ou deviennent inaccessibles.
La fracture numérique devient une nouvelle ligne de division civique.

🟦 Des médiateurs débordés, des usagers découragés
Les assistant·e·s sociaux·les, les associations de terrain, les services publics locaux constatent :
  • un effet de saturation face à la charge administrative ;
  • un épuisement des publics fragiles ;
  • des situations de "perte de citoyenneté de fait", faute de navigation possible dans le système.
🔎 Ce qu’il faut retenir
  • L’accès à la citoyenneté réelle dépend de la capacité à naviguer le brol administratif.
  • Les plus vulnérables sont les premiers à décrocher ou à être oubliés.
  • La complexité, l’opacité et la numérisation mal pensées sont des formes d’exclusion structurelle.
  • Le brol n’est pas seulement chaotique : il produit de l’invisibilité sociale.
➡️ Partie suivante : 3.1 Surveillance, enregistrement, obligations civiques (Citoyenneté et contrôle social)

Re: 🛠 « La citoyenneté, c’est le brol »

Publié : mer. juin 18, 2025 1:43 pm
par Souad
3.1 Surveillance, enregistrement, obligations civiques

La citoyenneté moderne n’est pas qu’un droit : elle est aussi une technique de pouvoir. À travers elle, l’État surveille, catégorise, oblige. La promesse d’émancipation est doublée d’un mécanisme de contrôle social systématique.

🟦 L’enregistrement comme fondement du pouvoir administratif
Tout citoyen doit :
  • être enregistré à la naissance (via l’état civil),
  • déclarer son domicile et signaler tout déménagement dans les 8 jours (en Belgique),
  • disposer d’un numéro unique d’identification (ex. : Registre national),
  • renouveler régulièrement ses documents officiels (CNI, passeport, permis…).
Le citoyen est donc traçable par défaut, dès l’enfance.

🟦 Une citoyenneté encadrée par des obligations
Être citoyen, c’est aussi :
  • remplir une déclaration fiscale chaque année,
  • envoyer ses enfants à l’école obligatoire (jusqu’à 18 ans),
  • se présenter au service militaire ou civil (selon les époques/pays),
  • voter (en Belgique, de manière obligatoire),
  • se soumettre à des règles de sécurité, de santé, de conduite.
La citoyenneté est ici un contrat asymétrique : droits en échange d’obligations, mais avec peu de marge de négociation.

🟦 La logique du “bon citoyen”
Les États construisent l’image du citoyen :
  • respectueux des lois et des procédures,
  • éduqué civiquement (via l’école, la Journée Défense & Citoyenneté, etc.),
  • participant à la vie démocratique (vote, pétitions, bénévolat).
Ce modèle valorise la conformité : celui qui ne suit pas est vu comme “incivique”, “déviant” ou “suspect”.

🟦 De la citoyenneté à la surveillance
Avec les technologies, la citoyenneté devient aussi :
  • un vecteur de contrôle numérique (identité numérique, traçabilité des interactions avec l’État),
  • un point d’entrée pour la police et les fichiers(base de données, reconnaissance faciale, PNR),
  • un levier pour trier : citoyen ordinaire, à risque, ou indésirable.
La citoyenneté permet d’être localisé, classifié, rappelé à l’ordre.

🔎 Ce qu’il faut retenir
  • La citoyenneté moderne est à la fois une promesse et un filet administratif.
  • Elle fonctionne comme instrument de surveillance et d’assignation.
  • Les droits sont liés à la capacité d’être localisable, identifiable, mobilisable.
  • Le brol, ici, c’est l’ensemble des dispositifs qui encadrent, contraignent et enregistrent les vies civiques.
➡️ Partie suivante : 3.2 Nationalité, frontières et hiérarchies d’appartenance

Re: 🛠 « La citoyenneté, c’est le brol »

Publié : mer. juin 18, 2025 1:44 pm
par Souad
3.2 Nationalité, frontières et hiérarchies d’appartenance

Derrière la citoyenneté se cache une autre logique : celle de la nationalité, c’est-à-dire l’appartenance légale à un État. Or, cette appartenance n’est pas égalitaire : elle repose sur des critères exclusifs et produit des hiérarchies invisibles mais puissantes.

🟦 La nationalité comme filtre
La citoyenneté est (souvent) réservée :
  • aux personnes nées sur le territoire (droit du sol),
  • ou aux enfants de citoyens (droit du sang),
  • ou à ceux qui ont été “naturalisés” après une longue procédure.
Dans tous les cas, l’État décide qui “entre” ou “reste” dans la communauté politique. La citoyenneté n’est pas un droit universel, mais une inclusion conditionnelle.

🟦 Des statuts inégaux devant la loi
Dans un même pays, on peut trouver :
  • des nationaux de naissance (pleins droits),
  • des naturalisés (droits parfois restreints ou révocables),
  • des résidents étrangers (droits partiels),
  • des sans-papiers (aucun droit reconnu, sauf urgence humanitaire).
Cette hiérarchie produit une stratification civique : tous les habitants ne sont pas égaux devant les services, la police, la justice, ou le vote.

🟦 La citoyenneté comme outil géopolitique
La citoyenneté est utilisée par les États pour :
  • récupérer les diasporas (droit au retour, double nationalité),
  • exclure les indésirables (déchéance de nationalité),
  • trier les migrants (naturalisation sélective, quotas),
  • créer des “bons citoyens” par intégration conditionnelle.
Elle devient un instrument de sélection identitaire, plus qu’un droit fondamental.

🟦 La double nationalité : opportunité ou soupçon ?
Certains pays la tolèrent, d’autres la refusent. Elle peut être :
  • perçue comme un enrichissement culturel et juridique,
  • mais aussi comme une menace de “double allégeance”,
  • ou comme une suspicion politique (ex : surveillance des binationaux).
La double nationalité révèle que la citoyenneté n’est pas neutre : elle implique une relation de loyauté attendue par l’État.

🔎 Ce qu’il faut retenir
  • La nationalité est un filtre de citoyenneté, pas un automatisme.
  • Les États trient, contrôlent et hiérarchisent les appartenances.
  • La citoyenneté est donc une fabrique politique de l’inclusion/exclusion.
  • Le brol ici, c’est la mosaïque de statuts, de droits et de non-droits produits par la logique nationale.
➡️ Partie suivante : 3.3 Technologie, traçabilité et pouvoir de l’État