I.1 – Du troc à la monnaie : naissance de la valeur abstraite
Dans les sociétés humaines les plus anciennes, les échanges reposaient sur le
troc direct : un bien contre un autre, un service contre un bien, selon une “coïncidence des besoins”. Ce mode d’échange limitait les possibilités : on devait trouver quelqu’un ayant ce qu’on voulait, et voulant ce que l’on avait. Pour surmonter cette contrainte, les sociétés ont peu à peu inventé des
objets servant d’intermédiaires d’échange : coquillages, sel, pierres précieuses, bétail…
Mais le grand tournant se situe au VIIe siècle avant notre ère, en Lydie (actuelle Turquie), avec l’apparition des premières
pièces métalliques standardisées, faites d’électrum et marquées d’un sceau. Cette innovation permet une
fiabilité de la valeur (poids garanti), une
divisibilité, une
portabilité, et une
acceptabilité large.
La monnaie devient alors plus qu’un objet d’échange : elle devient un outil d’organisation sociale, de stockage de richesse et d’expression du pouvoir.
Fait établi : Les premières monnaies frappées en Lydie (~630 av. J.-C.) se diffusent rapidement dans le monde grec, puis romain. La monnaie facilite les impôts, la solde des armées, le commerce à distance.
Interprétation dominante : Selon Adam Smith et l’économie classique, la monnaie serait née du besoin d’unité d’échange pour fluidifier un troc trop inefficace.
Point de vue critique : Des anthropologues comme
David Graeber (2011) soutiennent que le troc pur fut rare, et que les sociétés reposaient plutôt sur des
relations de dette et de crédit informel. La monnaie, selon lui, n’est pas née spontanément du marché, mais souvent imposée par l’État ou la force (ex. : obligation de payer l’impôt en monnaie officielle).
Ambivalence :
- La monnaie permet l’épargne, la circulation fluide, la comptabilité.
- Mais elle introduit aussi la spéculation, l’accumulation asymétrique, et une abstraction de la valeur qui rend possible l’exploitation.
L’intelligence économique de cette innovation tient à sa puissance d’unification et de calcul.
Sa stupidité potentielle : permettre des échanges totalement dissociés de l’utilité réelle, où seul le gain abstrait compte.
À travers la monnaie, on passe d’un échange situé, relationnel, à une logique quantitative, détachable, potentiellement déracinée de toute finalité humaine.