De l’État unitaire aux réformes

Introduction

La Belgique est aujourd’hui un État fédéral, mais elle a longtemps été un État unitaire centralisé. Cette transformation, étalée sur plusieurs décennies, est le résultat de tensions communautaires, de luttes politiques et de compromis successifs. Voici un aperçu chronologique des grandes étapes de cette évolution institutionnelle.


1 · L’État unitaire belge (1831–1970)

À sa création en 1831, la Belgique est conçue comme un État unitaire, avec une administration et une législation centralisées à Bruxelles. L’unité nationale repose sur une série de principes :

  • Une seule chambre nationale législative (bicaméralisme mais unitaire).
  • Une seule langue officielle dans l’administration : le français.
  • Un enseignement, une justice et une armée gérés exclusivement au niveau national.

Mais cette conception unitaire entre rapidement en tension avec la diversité culturelle et linguistique du pays1.


2 · Premiers signes de tensions communautaires (fin XIXᵉ – 1960)

Dès la fin du XIXᵉ siècle, des revendications flamandes apparaissent :

  • Demandes pour l’égalité linguistique dans l’enseignement et l’administration.
  • Création de mouvements culturels flamands, revendiquant la reconnaissance du néerlandais.
  • La Wallonie connaît elle aussi une affirmation identitaire, notamment dans le contexte du déclin industriel wallon à partir des années 19502.

La politique belge commence à intégrer des réformes linguistiques sectorielles (lois linguistiques de 1873, 1921, 1932…), mais l’État reste juridiquement unitaire2.


3 · Crise communautaire et tournant des années 1960

Les tensions explosent dans les années 1960 :

  • Crise de Louvain (1968) : le conflit autour de l’université catholique de Louvain aboutit à sa scission linguistique (KUL et UCL)3.
  • La carte linguistique est figée en 1962–63 : la Belgique est désormais divisée en régions linguistiques (française, néerlandaise, allemande, bilingue de Bruxelles).
  • Ces événements déclenchent une prise de conscience de l’impossibilité de maintenir un État purement unitaire.

4 · Première réforme de l’État (1970)

La réforme de 1970 introduit une nouveauté fondamentale :

  • Reconnaissance des trois communautés culturelles (française, flamande, germanophone), avec des compétences dans les matières culturelles.
  • La Constitution est modifiée pour préparer la création des régions, bien que celles-ci ne soient pas encore mises en place.

Il ne s’agit pas encore d’un État fédéral, mais la logique communautaire est institutionnalisée pour la première fois4.


5 · Vers un fédéralisme progressif

Ce processus se poursuivra par étapes :
1980, 1988–89, 1993, 2001, 2011… Chaque réforme transfère de nouvelles compétences aux communautés (matières culturelles, éducation, santé) et aux régions (économie, aménagement du territoire, emploi).

Le point de bascule est la réforme de 1993 : elle consacre la Belgique comme un État fédéral, à part entière5.


Conclusion

L’histoire institutionnelle belge est celle d’un glissement progressif d’un État centralisé vers un fédéralisme asymétrique, piloté par des réformes successives répondant à des crises communautaires. Ce processus n’est pas achevé : chaque étape ouvre la voie à de nouvelles revendications, dans un équilibre toujours instable.


Notes


  1. Serge Govaert, Les démocraties faibles : le cas belge, Presses universitaires de Bruxelles, 2003.  

  2. Michel Quévit, Les régions face à la crise, Éditions Labor, 1982.  

  3. CRISP, La crise de Louvain, Courrier Hebdomadaire, n°373, 1968.  

  4. Vincent de Coorebyter, « Réformes de l’État et logique communautaire », CRISP, 2000.  

  5. CRISP, La Belgique fédérale, Dossier n°2230, 2022. 

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