La citoyenneté, c'est le brol

« Citoyen » : un mot chargé de promesses d’égalité et de participation.
Mais, au quotidien, combien de formulaires, de délais, de doublons !
Partons en voyage – de l’Antiquité au numérique estonien – pour comprendre pourquoi la citoyenneté est (parfois) un immense brol… et comment en sortir.


1. D’où vient la citoyenneté ?

De la cité grecque au statut administratif moderne

  • Athènes et Rome (−500 → 200) : la citoyenneté, privilège masculin très restreint, associait droits politiques directs et devoirs militaires.
  • Édit de Caracalla (212) : Rome dilue le concept en l’étendant à tous les habitants libres, d’où une citoyenneté surtout juridique plutôt que réellement politique.
  • Révolution française (1789) : naissance du citoyen – nation, universalité de droits civiques, mais aussi codification (Code civil 1804) qui transforme la citoyenneté en statut administratif transmis par le sang ou le sol.
  • XIXᵉ‑XXᵉ s. : complexification croissante (lois de 1889 puis 1927 sur la nationalité, conscription, état‑civil, passeports). La citoyenneté devient un ensemble de règles, de documents et de bases de données gérés par la bureaucratie étatique.

2. Pourquoi c’est « le brol » ?

Focus sur la Belgique et son mille‑feuille administratif

  • Carte d’identité électronique obligatoire dès 15 ans : tout changement d’adresse doit être déclaré en huit jours, sous peine d’amende.
  • Malgré le principe officiel du « dites‑le‑nous une fois », les administrations redemandent souvent des documents qu’elles possèdent déjà (composition de ménage, extrait de registre national…).
  • File d’attente au guichet pour un formulaire A, nécessaire pour obtenir un formulaire B… qui pourrait circuler en interne : absurdité kafkaïenne dénoncée par les associations de lutte contre la pauvreté.
  • Délais à rallonge : conversion d’un permis belge en France ? Parfois douze mois d’attente, au risque de perdre son emploi.

En bref : le citoyen belge est souvent coincé entre e‑ID high‑tech et tampons papier d’un autre âge.


3. Citoyenneté et contrôle social : la « cage d’acier » de Weber

Selon Max Weber, l’État moderne se confond avec la bureaucratie moderne : une « cage administrative » qui encadre nos vies.

  • Enregistrer – Identifier – Suivre : registres de population, numéro national, passeports biométriques.
  • Sanctionner : en Belgique, le vote est inscrit comme obligation ; l’abstention est théoriquement punissable depuis 1893 (même si les amendes ne tombent plus).
  • Orienter : naturalisation accélérée ou refusée, déchéance possible pour actes terroristes ; la citoyenneté devient carotte ou bâton politique.

4. Tour du monde de l’« expérience citoyenne »

Pays Devoirs majeurs Expérience administrée
Belgique Vote obligatoire, e‑ID sur soi Portails en ligne efficaces, mais héritage bureaucratique et structures éclatées.
France Vote facultatif, JDC obligatoire Numérisation rapide (FranceConnect), mais “paperasserie” encore réputée lourde.
Estonie e‑vote, conscription masculine 99 % des démarches en ligne, principe once only, création d’entreprise : 15 min.
Canada Devoir de juré uniquement Pas de CNI fédérale ; services en ligne morcelés, projet d’identité numérique en cours.

Morale : entre l’Estonie « 0 papier » et le Canada aux identifiants multiples, la Belgique et la France avancent à petits pas pour dégager le citoyen du brol administratif.


5. Comment dompter le brol ?

Pistes concrètes pour une citoyenneté plus fluide

  1. Guichet unique numérique : généraliser le principe « once only » (informations saisies une seule fois, réutilisées partout).
  2. Interopérabilité des bases de données : partager les infos entre niveaux de pouvoir (fédéral, régional, communal).
  3. Accessibilité mixte : maintenir guichets physiques et médiation numérique pour éviter le non‑recours aux droits.
  4. Open data & contrôle citoyen : publier les statistiques de performance des services publics pour créer une pression positive.
  5. Culture administrative participative : associer les usagers (associations, hackathons, labs) à la conception des formulaires et portails.

Conclusion : remettre l’humain au centre

Être citoyen, ce n’est pas seulement avoir des papiers ; c’est pouvoir exercer ses droits sans se perdre dans un labyrinthe de tampons.
La bonne nouvelle : des modèles existent, la technologie aussi. Le véritable défi est politique et culturel : simplifier sans exclure, sécuriser sans fliquer.
À nous de pousser pour que, demain, « la citoyenneté, c’est le brol » devienne une blague d’archéologue administratif.


Sources

  1. UNJF – Culture générale, notion de citoyenneté.
  2. Wikipédia – « Nationalité française », « Vote obligatoire », « Carte d’identité belge ».
  3. OpenEdition – Le monopole étatique des moyens légitimes de circulation ; Trivium – Histoire de l’État comme histoire de la bureaucratie.
  4. IBZ.be – Obligation de possession de pièce d’identité en Belgique.
  5. Commission européenne – Digital Decade Country Report (Belgique, Estonie).
  6. Labo Société Numérique – Administration en ligne (France).
  7. Canadian Government Executive – Digital engagement & identity.
  8. Associations CSC – Quand le gouvernement organise le non‑recours.

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