La pilarisation (verzuiling en néerlandais) désigne l’organisation de la Belgique en piliers idéologiques—catholique,
socialiste, libéral, parfois communiste—chacun disposant de ses propres institutions politiques, sociales, éducatives
et médiatiques. Pendant un siècle, chaque citoyen évoluait presque exclusivement à l’intérieur de son pilier, « du
berceau à la tombe ». Le phénomène a façonné la culture politique belge : démocratie consociative, culture du compromis
et pouvoir décisif des organisations intermédiaires.
« La société belge est coupée de facto en mondes sociaux séparés » — Seebohm Rowntree, 19101
Institution | Pilier catholique | Pilier socialiste | Pilier libéral (puis laïque) |
---|---|---|---|
Parti politique | PSC → CD&V / Les Engagés | POB → PS | PL → MR / Open VLD |
Syndicat | CSC | FGTB | CGSLB |
Mutualité | Mutualités chrétiennes | Mutualités socialistes | Mutualités libérales |
Médias emblématiques | La Libre, Kerk & Leven | Le Peuple, press socialist | La Dernière Heure |
Réseau scolaire | Enseignement libre catholique | Écoles des communes rouges | Écoles officielles |
Les citoyens étaient encadrés à chaque étape de la vie ; l’appartenance au pilier déterminait parfois le choix
du partenaire matrimonial ou du club de football.
La pilarisation a rendu pratiquement impossible une majorité absolue d’un seul camp ; les élites ont donc développé
un système de compromis permanent. Cette « démocratie consociative » est encore louée pour avoir évité la violence
de classe ou les guerres scolaires ouvertes2.
Résidus fonctionnels :
Défis :
Année | Événement clé |
---|---|
1831 | Indépendance de la Belgique ; affrontement écoles confessionnelles vs officielles |
1884 | Fondation du Parti catholique moderne |
1885 | Création du Parti ouvrier belge (POB) |
1919 | Suffrage universel masculin → partis de masse alignés sur les piliers |
1958 | Pacte scolaire : compromis historique Église/État |
1960-70 | Sécularisation et premières brèches dans les piliers |
1990 | Analyse CRISP : « dépilarisation lente mais irréversible »4 |
2000-2020 | Transformation numérique ; appartenance idéologique résiduelle |
La pilarisation a durablement marqué la Belgique : elle explique la culture du compromis, la force des organisations
intermédiaires et, paradoxalement, certaines lenteurs institutionnelles actuelles. Bien que largement dépilarisée,
la société belge continue de porter les traces de cette matrice, notamment dans la structure des partis et des
mécanismes de concertation sociale.
Seebohm Rowntree, The Sociology of Belgian Pillars, Journal of Social Research, 1910 (cité par Spring-er, 2020). ↩
Arend Lijphart, Democracies: Patterns of Majoritarian and Consensus Government in Twenty-One Countries, 1977. ↩
S. Renders, « La mutualité choisie par pragmatisme », Revue Nouvelle, 2022. ↩
CRISP, « Piliers, dépilarisation et clivage philosophique en Belgique », Analyse, 2019. ↩