Particratie en Belgique

Introduction

La particratie désigne un mode de fonctionnement politique dans lequel les partis politiques, et plus particulièrement leurs dirigeants, détiennent la majorité du pouvoir de décision, au détriment des institutions parlementaires ou du suffrage direct. En Belgique, ce phénomène est lié à l’histoire du suffrage proportionnel, à la pilarisation et à la culture du compromis1.


1 · Définition et origine du terme

Le terme « particratie » désigne un gouvernement par les partis, où ceux-ci déterminent les grandes orientations politiques et législatives, souvent en dehors du cadre parlementaire classique.

Ce phénomène s’est renforcé en Belgique au XXᵉ siècle, notamment à partir de l’entre-deux-guerres, avec la structuration du Parlement en blocs partisans très disciplinés, remplaçant les notables plus autonomes du XIXᵉ siècle2.


2 · Le rôle central des présidents de parti

En Belgique, le président d’un parti joue un rôle déterminant à plusieurs niveaux3 :

  • Il décide de la participation de son parti à une coalition gouvernementale.
  • Il dirige les négociations lors de la formation du gouvernement.
  • Il désigne les ministres de son parti, parfois sans passer par un vote interne.
  • Il établit les listes électorales, souvent sans consultation démocratique.
  • Il impose une discipline de vote stricte aux parlementaires.

Dans la pratique, un président de grand parti dispose de plus de pouvoir qu’un ministre ou même qu’un Premier ministre, dont l'autorité dépend du bon vouloir des présidents de coalition.


3 · Fonctionnement de la particratie belge

Fonction institutionnelle Réalité dans une particratie
Élections Déterminent la force de chaque parti, mais non la formation du gouvernement.
Formation du gouvernement Se joue entre présidents, dans un cadre informel ou en conclave.
Parlement Valide les décisions prises en dehors de l’hémicycle ; peu d’initiatives individuelles.
Ministres Nomination décidée par les partis, souvent sans intervention du Premier ministre.
Coalition Fruit d’un compromis entre appareils partisans ; très peu transparent.

4 · Conséquences et effets secondaires

  • Concentration du pouvoir dans les mains de quelques dirigeants de partis.
  • Affaiblissement du Parlement : rôle essentiellement procédural, voire symbolique4.
  • Éloignement du citoyen : les choix cruciaux se prennent « entre chefs » après les élections.
  • Crise de légitimité : les citoyens ne comprennent plus qui décide, ni comment.
  • Blocage des réformes structurelles : toute modification de fond suppose l’accord simultané de plusieurs partis.

5 · Éléments historiques

  • 1945–1960 : montée des grands partis de masse et structuration en blocs.
  • 1970–1990 : complexification avec la fédéralisation ; nécessité de coalitions larges.
  • Depuis 2000 : personnalisation accrue ; médiatisation des présidents ; rôle diminué des parlementaires5.
  • 2010–2024 : succession de crises de formation gouvernementale ; montée de l’abstention et de la défiance.

Remarque

La particratie est à la fois un mode de gouvernance pragmatique, né de la complexité belge, et une source de tension démocratique. Si elle permet de construire des majorités stables, elle éloigne la décision du citoyen et concentre le pouvoir dans des cercles opaques. Les critiques se multiplient, sans qu’un modèle alternatif ne s’impose encore clairement.


6 · Critiques de la particratie

La particratie est régulièrement critiquée pour les dérives qu’elle induit, notamment du point de vue de la démocratie représentative et de la responsabilité politique.

a) Un déficit démocratique

  • Opacité des décisions : les choix stratégiques sont pris en conclave, souvent sans trace écrite ni débat public.
  • Absence de responsabilité claire : les compromis de coalition diluent les responsabilités. Si une mesure est impopulaire, chaque parti peut dire qu’il n’y est pour rien.
  • Domination des états-majors : les militants ou les assemblées générales des partis ont peu de poids réel sur les grandes orientations.

b) Une personnalisation excessive

  • Les présidents de parti concentrent un pouvoir important, mais sans être élus par l’ensemble des citoyens.
  • La médiatisation renforce leur autorité : ils deviennent des figures publiques incontournables, court-circuitant parfois leurs propres élus.
  • Dans certains cas, la longévité de certains présidents alimente des accusations de dérive oligarchique.

c) Blocage du débat parlementaire

  • Les parlementaires, contraints par la discipline de parti, n’interviennent que rarement sur le fond.
  • Très peu de lois sont issues d’initiatives individuelles.
  • L’espace parlementaire perd en vitalité, ce qui affaiblit l’image de la démocratie représentative.

7 · Comparaisons internationales

a) Pays-Bas

  • Ont connu une forte particratie dans les années 1950–1970, mais la culture politique a évolué vers plus d’autonomie parlementaire.
  • La coalition reste forte, mais les débats sont plus transparents.

b) Suisse

  • Fonctionnement fondé sur la collégialité gouvernementale et le référendum populaire : moins de pouvoir pour les partis, plus pour les citoyens.
  • Les partis restent puissants mais ne dominent pas le Parlement à l’identique.

c) France

  • Système présidentiel très différent : l’exécutif est élu directement.
  • Le Parlement peut être dominé par le parti du président, mais la figure centrale est celle du chef de l’État, pas des partis.

d) Canada

  • Système parlementaire proche du modèle britannique : discipline de parti forte mais débat plus public.
  • Présidents de parti importants, mais moins omnipotents qu’en Belgique.

8 · Tentatives de réforme et propositions alternatives

a) Participations citoyennes

  • Mise en place de consultations citoyennes dans plusieurs communes et régions.
  • Expérimentations avec des assemblées tirées au sort pour contourner les logiques de partis.

b) Réformes internes aux partis

  • Certaines formations ont instauré des primaires internes ou des mécanismes de consultation des membres.
  • Tentatives de redonner du poids aux sections locales et aux militants.

c) Transferts de légitimité

  • Demandes pour que les présidents de parti soient élus directement par les citoyens.
  • Propositions pour renforcer le rôle des parlementaires par des réformes des règlements des assemblées.

Conclusion

La particratie belge est à la fois un produit historique et une réponse pragmatique à la fragmentation du paysage politique. Mais elle soulève des questions démocratiques fondamentales : concentration du pouvoir, effacement du Parlement, mise à distance du citoyen.

Des pistes existent pour rééquilibrer le système : renforcer le rôle des élus, ouvrir davantage les partis à leurs bases, et intégrer les citoyens dans la délibération politique par des mécanismes innovants.

Le débat reste ouvert, entre réforme en profondeur et ajustements symboliques.6


Notes


  1. CRISP, « Le système politique belge », Dossier 2301, 2022.  

  2. Arend Lijphart, Patterns of Democracy: Government Forms and Performance in Thirty-Six Countries, Yale University Press, 2012.  

  3. Dave Sinardet, « La particratie belge : mythe ou réalité ? », Revue Internationale de Politique Comparée, vol. 18, n°2, 2011.  

  4. Vincent de Coorebyter, « Les partis politiques : une domination qui s’exerce à tous les niveaux », Courrier Hebdomadaire du CRISP, n°2044, 2009.  

  5. Manuel Casteleyn, De particratie in België: feiten en percepties, Éditions Academia, 2018.  

  6. Serge Govaert, Les démocraties faibles : le cas belge, Presses universitaires de Bruxelles, 2003. 

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