Effondrement environnemental et conséquences sociales : vers un futur « Mad Max » ?

L’effondrement environnemental en cours : Le changement climatique, la dégradation des écosystèmes et l’épuisement des ressources ne sont pas de simples projections dystopiques – ils sont déjà à l’œuvre. La planète se réchauffe dangereusement (déjà +1,1 °C depuis l’ère préindustrielle), la biodiversité s’effondre (6e extinction de masse), et des phénomènes extrêmes autrefois rares deviennent fréquents (méga-feux, sécheresses intenses, ouragans plus puissants, etc.). Les scientifiques alertent depuis longtemps sur le risque d’effondrement partiel des conditions de vie si ces tendances se poursuivent. Ce qui autrefois relevait de la science-fiction (famine climatique, villes inhabitables, migrations massives) pourrait devenir la réalité de la fin du XXIe siècle. Malheureusement, certains effets se font déjà sentir dans la décennie 2020, avec des conséquences sociales et politiques inquiétantes, pouvant nourrir des dérives dystopiques : montée de l’écofascisme, déplacements forcés de populations, conflits pour l’accès aux ressources, instauration de régimes autoritaires justifiés par “l’urgence climatique”, etc.

Écofascisme : la radicalisation verte de l’extrême droite – Le terme “écofascisme” désigne l’idéologie qui mêle rhétorique écologiste et principes fascistes (autoritarisme, xénophobie, culte de la violence). Bien qu’encore marginale, cette idéologie a gagné en visibilité ces dernières années, notamment chez certains extrémistes occidentaux. L’idée centrale est que la surpopulation humaine et l’immigration sont les causes majeures de la crise écologique, et qu’il faudrait y remédier par des mesures radicales, allant de la fermeture totale des frontières à l’élimination physique de populations “indésirables”. « Les écofascistes blâment l’effondrement environnemental sur la surpopulation, l’immigration et la surindustrialisation, et pensent résoudre en partie le problème par le meurtre de masse de réfugiés dans les pays occidentaux »[82]. Ils prônent un retour à la “pureté” de la terre souvent associée à une race (par ex. préservation de la “Terre des blancs”) et considèrent que le remède aux maux de la planète passe par la violence et la dictature verte. Naomi Klein résume l’écofascisme comme de « l’environnementalisme par le génocide »[82]. Bien qu’aucun gouvernement ne se déclare ouvertement écofasciste, on voit poindre certains discours inquiétants : par exemple, en Europe, des partis d’extrême droite ont ajouté un vernis écologique à leur programme anti-immigrés, arguant que limiter l’accueil de populations venant d’Afrique ou d’Asie serait bon pour l’empreinte carbone du pays. Certains extrémistes ont célébré les catastrophes climatiques en Afrique ou en Asie comme une “régulation naturelle” de la population mondiale. Ce malthusianisme violent pourrait gagner en attrait si les crises climatiques s’aggravent et attisent les peurs de pénurie. Dans un scénario dystopique, un pays en proie à la crise écologique pourrait tomber sous la coupe d’un régime militaro-vert prônant la loi martiale écologique et la suppression des “pollueurs” (qui pourraient être identifiés sur des critères ethniques ou sociaux). Nous n’en sommes pas là, mais la vigilance s’impose car l’histoire montre que les périodes de crise profonde peuvent faire émerger des idéologies brutales se présentant comme salvatrices.

Déplacements forcés de populations : la crise des réfugiés climatiques – Le dérèglement climatique provoque déjà des migrations massives, principalement internes aux pays. « En 2022, les catastrophes ont déclenché 32,6 millions de nouveaux déplacements internes, un chiffre record, dont 98% causés par des aléas météorologiques extrêmes (inondations, tempêtes, feux, sécheresses) »[83]. Autrement dit, les catastrophes climatiques ont déplacé plus de personnes cette année-là que les conflits armés dans bien des régions. Par exemple, les inondations historiques de 2022 au Pakistan ont chassé de chez elles environ 8 millions de personnes temporairement ; les sécheresses à répétition en Somalie et au Kenya forcent des centaines de milliers de paysans et d’éleveurs à quitter leurs terres exsangues pour chercher de l’aide humanitaire ailleurs. La plupart de ces déplacements se font à l’intérieur du pays (on trouve refuge dans une autre région moins touchée)[83], mais certains franchissent les frontières – par exemple des habitants de petits États insulaires du Pacifique émigrent vers la Nouvelle-Zélande ou l’Australie face à la montée des eaux. À plus long terme, des études de la Banque Mondiale estiment que, sans action climatique vigoureuse, il pourrait y avoir jusqu’à 216 millions de déplacés climatiques internes à l’horizon 2050 (Afrique sub-saharienne, Asie du Sud et Amérique latine étant les plus concernés). La pression migratoire va donc augmenter, ce qui posera des défis d’accueil et de solidarité. Dans un monde dystopique, on peut craindre que les pays riches choisissent la fermeture brutale plutôt que la solidarité, érigeant des murs non seulement contre les migrants de guerre mais aussi contre les “migrants du climat”. Des scénarios de climate lockdown circulent déjà dans les sphères complotistes (affirmant que des gouvernements pourraient un jour confiner les populations pour diminuer les émissions carbone – hypothèse fantaisiste en l’état, mais révélatrice des angoisses sur les atteintes aux libertés sous prétexte climatique).

Plus concrètement, certains gouvernements ont réagi aux migrations par des politiques dures : par exemple, l’Union européenne a renforcé ses frontières extérieures ces dernières années, ce qui a conduit de nombreux réfugiés (qu’ils fuient guerre ou sécheresse) à rester bloqués dans des conditions misérables aux portes de l’Europe (pensons aux camps en Libye ou aux îles grecques). Si demain le nombre de réfugiés climatiques explose, comment réagiront les nations relativement épargnées ? L’écofascisme pourrait consister à justifier moralement leur rejet ou leur élimination en prétendant protéger l’environnement local ou les ressources pour la population “de souche”. On voit d’ailleurs des narratifs pointer : « nos pays ne peuvent accueillir toute la misère du monde, et de toute façon ces populations ont détruit leur environnement, qu’ils ne viennent pas détruire le nôtre », ce genre de rhétorique lie xénophobie et écologie de façon toxique. Le risque est alors une fragmentation du monde en forteresses égoïstes, abandonnant des régions entières à la loi de la jungle. Ce serait une forme d’apartheid global.

Conflits liés au climat et à la raréfaction des ressources : Le changement climatique est qualifié de “multiplicateur de menaces” par les experts en sécurité[84]. Il agit en coulisse pour aggraver des tensions existantes – sur l’eau, la nourriture, les terres – et peut ainsi contribuer à déclencher des conflits. Un exemple souvent cité est la guerre civile syrienne, précédée par la pire sécheresse de l’histoire moderne de la Syrie (2006-2010) qui a ruiné des millions d’agriculteurs, provoqué un exode rural massif vers les villes, et créé un terreau de mécontentement socio-économique venant s’ajouter aux facteurs politiques. De même, dans la région du Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad), la désertification et la variabilité accrue des pluies amplifient les conflits entre éleveurs nomades et agriculteurs sédentaires (pour l’accès à l’eau et aux pâturages), conflits que des groupes djihadistes instrumentalisent, menant à des violences ethniques. Au Cameroun, « dans le nord en 2021, des ressources en eau de plus en plus rares (asséchées par le changement climatique) ont provoqué des affrontements entre pêcheurs et éleveurs, faisant des centaines de morts et poussant des dizaines de milliers de personnes à fuir au Tchad voisin »[85][86]. Au Burkina Faso, les zones les plus arides et pauvres ont connu les pires attaques de groupes armés ces dernières années, l’ONU notant que la sécheresse et la pauvreté ont alimenté les tensions utilisées par les terroristes, causant d’immenses déplacements internes[84].

À l’avenir, la question de l’eau sera cruciale : des fleuves transfrontaliers (Nil, Indus, Mékong, etc.) voient leur débit se modifier avec le climat, ce qui pourrait opposer les pays riverains (par ex. l’Égypte a menacé l’Éthiopie à cause du remplissage du méga-barrage sur le Nil Bleu). De même, la fonte de l’Arctique ouvre des routes maritimes et des appétits sur les ressources, créant un risque de confrontation entre grandes puissances pour le contrôle de cette zone stratégique. Si les gouvernements ne coopèrent pas face à ces défis, on craint un monde de “guerres climatiques” éclatées. L’ONU multiplie les mises en garde sur le fait que le changement climatique accentue déjà les risques de conflit et que la paix et la sécurité internationales en seront de plus en plus affectées.

Éco-autoritarisme : une tentation dangereuse – Enfin, face à l’urgence climatique, certains intellectuels ont suggéré qu’un “autoritarisme bienveillant” pourrait mieux répondre qu’une démocratie “lente” aux enjeux (puisque des mesures impopulaires pourraient être imposées plus facilement). La Chine est parfois citée, avec son modèle d’“autoritarisme environnemental” où le régime, du fait de son pouvoir centralisé, a pu déployer massivement des énergies renouvelables et prendre des mesures anti-pollution sans consulter la population[87]. Toutefois, de nombreux chercheurs réfutent cette idée en notant que les démocraties performantes peuvent aussi très bien agir pour le climat et qu’au contraire les sociétés ouvertes génèrent plus facilement l’innovation et l’adhésion nécessaires[88]. Néanmoins, on ne peut exclure qu’un jour, sous la pression d’événements extrêmes, des opinions publiques désespérées se tournent vers des “hommes forts” promettant de sauver la nation du chaos climatique par des mesures radicales. Un régime pourrait alors, par exemple, rationner strictement l’énergie, interdire toute contestation sous motif d’“union sacrée climatique”, et surveiller les comportements individuels (via les compteurs intelligents, etc.) en pénalisant ceux qui émettent trop de CO₂. On voit qu’on pourrait rejoindre d’autres dystopies précédentes : la surveillance de masse couplée à un discours moral écologique, la suspension des libertés au nom d’un “état d’urgence climatique” permanent. Ce serait une perversion de la noble cause environnementale, mais l’histoire nous enseigne que de grands idéaux peuvent être dévoyés par des régimes autoritaires.

En conclusion de ce volet : L’effondrement environnemental n’est pas seulement un problème
“écologique” – c’est un défi global aux sociétés humaines, susceptible d’**aggraver
les injustices, de provoquer violences et autoritarismes**. Sans action
résolue, le futur pourrait cumuler crises climatiques et régressions politiques
des régions entières invivables engendrant des flux migratoires incontrôlés, des gouvernements élevant des murs et tirant sur les réfugiés, des factions se battant pour l’eau ou la terre fertile, et peut-être des dictateurs verts exploitant la situation pour asseoir leur pouvoir. Ce tableau alarmant n’est pas une fatalité : chaque choix politique aujourd’hui (réduction des émissions, préparation solidaire aux impacts, renforcement du droit international de l’asile, etc.) peut éviter le pire. Mais il faut en avoir conscience : laisser filer la crise écologique, c’est prendre le risque de basculer dans une “dystopie climatique” où la survie prime sur la liberté et où l’humanité se divise profondément entre nantis de zones préservées et damnés de zones sacrifiées.

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